Chapitre II

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  Ma main s'abat violemment sur le réveil hurlant à mes côtés. Un soupir las s'échappe de mes lèvres et je me redresse difficilement en position assise. La pluie s'abat sur la ville, je le sens, ça vibre en moi. Je me lève doucement et titube vers la fenêtre. J'ai raison. Ma main caresse doucement, presque tendrement, la vitre froide. J'ai toujours eu ce sixième sens parait-il. Ma mère, quand nous étions en société, m'appelait souvent son « petit devin » Je ne suis pas devin, je ne l'ai jamais été. J'ai juste toujours su écouter la pluie et les éléments qui se déchirent. Cela semble terriblement niais, et enfantin. Mais c'est comme cela que je l'ai toujours ressenti, comme une petite chose qui frétille en moi. Ma mère en a souvent eu peur, plus j'avançais en âge plus mes différences se faisaient cruelles, je passais mes journées d'hiver sous la pluie et je boudais les beaux jours.
Je devais être un enfant du soleil, mais j'étais celui de la lune.

Je pouvais passer des heures sous un orage à contempler le ciel se déchirait sous les cris faussement affolés de mes parents. Ces différences se sont gommées au fil des ans ou des tête à tête avec mon psy, je ne sais pas. Pourtant je la sens toujours en moi, cette chose qui me pousse à marcher sous la pluie sans couvrir ma tête, à admirer la nuit noire zébrée par la foudre. Je ne suis pas un de ces idiots aux pouvoirs surnaturels, qui contrôlent les éléments comme j'ai pu le lire dans quelques bouquins, je suis quelqu'un qui aime la noirceur de la nuit et tout ce qui rend ce monde moins beau mais plus réel. Car un monde sans pluie serait destiné à souffrir de sécheresse. Personne ne m'a jamais réellement compris. Pas même Zayn.

Au nom de ce dernier mon souffle se bloque et la raison me rattrape. Elle m'assomme et instinctivement ma poigne sur les draps de coton se raffermit. Après les cours nous devons faire un foot, juste comme nous le faisions enfants. Prétexte pour me montrer exactement la ruelle où les échanges s'effectueront. Et même si tout cela m'a semblé être une trahison, une profanation de notre innocence d'autrefois , il ne s'est pas démonté.
Je m'adosse au mur toujours en boxer et je m'y laisse glisser. Ma tête cogne plus ou moins violemment contre le mur. Je dois sans doute avoir mal à l'arrière du crâne, à vrai dire, je ne sais pas.
J'apprécie le bourdonnement sourd à l'intérieur de mon crâne, ça me calme, ça m'assomme mieux que tout ces médicaments que ma mère m'a fait prendre pour annihiler les symptômes de ma soi-disant hyperactivité durant les heures sombres de ma petite enfance . Je n'y ai jamais réellement adhéré, mais je les prenais sans broncher car tout enfant croit sa mère quand elle lui jure que même s'il n'en voit pas les symptômes, sa maladie est bien présente. Je pensais sincèrement que c'était pour mon bien, jusqu'au jour où j'ai compris que c'était simplement pour le sien. Enfin soit. J'aurais presque pu retomber dans un sommeil léger si mon père n'était pas entré précipitamment dans ma chambre.


- Mais enfin, que fais-tu ? Tu vas être en retard. Dépêche-toi bon sang ! Je savais bien que ton délinquant de meilleur ami exerçait une mauvaise influence sur toi. fulmine-t-il


Je soupire quand le bruit d'une porte qui claque agresse mon esprit encore ensommeillé. Il n'a jamais cautionné Zayn dans ma vie, aussi loin que ça remonte. Quatorze ans que nous sommes comme « cul et chemise » et le regard qu'il porte sur mon meilleur ami est toujours aussi froid et morne. Il faut dire que lors de sa première visite chez moi, il a cassé un vase antique de ma mère. J'imagine que la pilule n'est jamais vraiment passée. Et ça me fait sourire d'un sourire amer. S'il savait ce que je m'apprêtais à faire pour ce fameux "délinquant". Je finis par me lever de mauvaise grâce, j'aurais pu rester ici toute la journée, je crois même que je l'aurais fait s'il n'était pas venu me chercher. Je me serais mis sous la couette à contempler les trombes d'eau, et je me serais fait oublier, comme je sais si bien le faire.


Sous l'eau brûlante la tension de mes épaules semble s'évaporer avec les volutes de fumée. Un soupire de satisfaction s'échappe de mes lèvres tandis que je me laisse aller contre le mur carrelé. Je lave énergiquement mes bras et mon torse en frottant plus qu'il n'en faut. J'aime voir ma peau rougir sous l'eau brûlante. Un peu comme si elle pouvait craquer à tout moment me laissant enfin en évacuer toute la rage en moi. Je n'en connais même pas la raison. Tout ce que je sais c'est qu'elle est présente en moi, au creux de mon estomac plus précisément. Je ne pense même pas qu'il s'agisse de colère à proprement parler. Un peu de frustration et d'agressivité peut être, je n'en sais rien. Mais j'imagine que c'est une bonne combinaison, un calcul réussi. Je pense que c'est un des ces mélanges bénéfique, un de ceux qui vous donne envie de vous battre et de mettre au sol la concurrence. Du moins, c'est ce que j'en ai déduit. Je me trompe peut être, c'est même fortement probable.


Une fois habillé, je descends au salon. L'ambiance y est glaciale, mon père lit son journal et ma mère déguste son thé avec cette mondanité qu'est le principe du "petit doigt levé". Detestable. Le petit bruit de succion qui s'échappe d'entre ses lèvres maquillées est écœurant. Le froissement des pages et la porcelaine qui claque contre la table de chêne résonnent dans mon crâne comme une sorte de gong chinois et je sens les prémices d'une migraine me marteler les tempes. Ils me regardent sans me voir. J'ai l'impression d'être dans la pièce sans l'être, ce constat pourrait être blessant, mais on s'habitue à tout, même à l'ignorance de ses propres parents. Je suis rodé depuis quelques années déjà. Je n'ose même pas les interrompre. J'avale juste un café en vitesse, et je me sauve comme un voleur. Le froid s'insuffle sous mon maillot et une chair de poule me ravage l'épiderme. La pluie s'abat toujours sur la ville endormie, ça me plait. Zayn devrait arriver d'une minute à l'autre, mais je n'y prête même pas attention. Je me concentre juste sur le cliquetis de l'averse sur la véranda en verre des voisins, et sur le torrent d'eau qui s'échappe de leur gouttière. Notre voisin sort justement de chez lui, ses deux enfants dans les bras, les deux petites métisses aux adorables cheveux crépus et aux gigantesques yeux noirs, me font de grands signes. Je leur adresse un sourire attendrit.

- Louis, tu veux que je te dépose ? Ton lycée n'est pas loin de l'école des filles, ça ne gène pas tu sais ? Tu
vas être malade si tu reste plus longtemps sous cette pluie.
me demande-t-il gentiment.

Gordon, le père des petites est un homme adorable, même s'il a longtemps fait les choux gras des vieilles pies du quartier, il est resté le même. Sa femme l'a quitté du jour au lendemain, à la naissance de Jade, alors que la plus grande, Eden, n'était âgée que de 5 ans. Les critiques ont fusé depuis ce jour. Un père célibataire n'était vraisemblablement, pas le bienvenu dans le quartier. J'avais 14 ans quand mes parents m'ont interdit de lui adresser la parole. J'ai toujours était très proche de la famille, ça m'a fait un choc quand j'ai appris le départ de Cassandra. La mère de famille était devenue une amie proche plus qu'une voisine, je gardais souvent Eden pour quelque livres, pas grand-chose, j'aimais simplement être en compagnie de leur fille. J'ai vu Gordon tomber en morceau, petit à petit, s'effriter, se fendiller de part en part. Il s'est réfugier dans les heures supplémentaires. Il travaillait toujours plus, inlassablement, à en tomber de fatigue, à en oublier sa peine et accessoirement, ses adorables petites filles. J'ai vu un homme se détruire lui-même en milliards de petits morceaux, et c'était effrayant. La façon dont sont regard c'est assombrit, son corps semblait dépérir sans l'être cher. Ça a fonctionné un moment comme ça, l'ignorance, je veux dire. J'ai pu voir la douleur dans ses yeux quand un matin en me rendant au collège, j'ai changé de trottoir pour ne pas le croiser. J'ai eu envie de pleurer, il m'avait quasiment élevé. Et puis tout a basculé le jour où sa belle sœur en a eu assez de garder les filles, là, il s'est retrouvé dans une impasse. Il n'arrivait pas à s'organiser et les vieilles voisines aigris le menacer d'appeler les services sociaux. Ce n'était pas juste, cruelle, le destin se foutait ouvertement de lui. Son cœur continuait de se briser chaque jours un peu plus. L'amour de sa vie avait claqué la porte et ses filles risquaient d'être emportées loin de lui. Alors, pour la première fois j'ai désobéit à mes parents. Je lui ai proposé de garder les petites jusqu'à ce que son emploi du temps soit assez flexible. Et je lui ai bien évidement proposé mon aide gratuitement. Je savais à l'époque qu'avec un salaire en moins, la maison tournait plus difficilement. Je me souviendrais à jamais de ses yeux qui s'humidifient et de ses mains qui commencent à trembler. Bien évidement, au début il a refusé en bloc, honteux de se faire aider par un gamin de 15 ans. Mais il a cédé et m'a prit dans ses bras, me remerciant mille fois, et me répétant inlassablement que si un jour j'en éprouvais le besoin, sa porte me serrait toujours ouverte. Il avait bien trop souffert et son cœur avait bien trop souvent saigné. Mais la vie est un peu comme un saut en parachute, tu penses que tu es invincible, tu planes, puis tout à coup, tu tombes, tu tombes, tu t'effondre et on ne te laisse pas le temps d'ouvrir ton parachute, alors tu vis tes des dernières secondes comme un enfer, puis tu t'écroules au sol, les cervicales brisées.


- Non merci Gordon, ne t'inquiètes pas, j'attends juste un ami.
- Comme tu veux, tant pis pour toi, je viens juste de laver les sièges, tu ne sauras donc jamais leur couleur
d'origine sans toute la poussière. dit-il en haussant comiquement les sourcils

Je ris.

- J'en ai pleinement conscience, ne t'en fais pas.


Il m'adresse un grand sourire. Les filles me saluent derrière la vitre et je leur rends leur signe. Il m'adresse un dernier regard et s'assoit derrière son volant. Je vois la voiture de Zayn arriver au loin. Et je me mets sur mes pieds prêts à ouvrir la portière.
L'ambiance dans l'habitacle est pesante et la musique crachotait par les enceintes ne détend pas l'atmosphère. Je joue avec mes doigts alors que Zayn scrute la route. Un souffle passe la barrière de ses lèvres et il finit par se tourner vers moi, cherchant ses mots.

- Tu sais Lou', j'y ai énormément songé la nuit dernière et... Je n'aurais jamais dut t'imposer ça, tu n'es pas
obligé, tu le sais n'est ce pas ?
- Tais-toi.

Il m'adresse un regard curieux. Je fixe toujours l'horizon, je sens son regard sur moi, qui tente de décrypter mon expression. Elle reste délibérément imperméable, hermétique. Il ne peut m'atteindre.

- Quoi ?
- Je vais le faire Zayn, je vais le faire pour toi.
- Mais je ne veux pas te laisser encourir tout ces risques. Te laisser te balader tout les soirs avec de la drogue
sur toi... C'est... Je ne peux pas. Je ne veux pas répéter mon err-, enfin, T'es trop innocent, tu ne
connais rien du monde qui t'entoure.

Sa dernière remarque m'arrache un frisson désagréable et je refoule une bouffée de colère. Il semble épuisé, et c'est maintenant que je remarque ses traits tirés et angoissés. Il est tourmenté, il a du retourner tout ce qu'il m'a dit hier dans son crâne jusqu'à en avoir la migraine. Je le connais tellement bien.

- Je vais le faire et tu sais pourquoi ?
- Non mai- je le coupe

- Car je t'aime plus que tout Zayn, t'es tellement important pour moi... Et malgré, tout
l'amour que tu portes à ta petite personne, je pense que c'est réciproque. Je ne te laisserai pas tremper
dans ça. Et tant pis si je dois en pâtir. Mais entre toi et moi, Zayn ? Qui risque le plus de se faire
prendre ? Je suis un inconnu parmi tant d'autre, Zee', mon casier est aussi vierge que ma réputation. Ou
plutôt, ma non-réputation. Toi, t'es attendu au tournant, alors le trafique, c'est juste la continuité du
personnage. Je ne te laisserai jamais tomber dans ça. Je ne te laisserai jamais tomber tout court.

Il n'ajoute rien et ne me contredis pas, mais je sens qu'il est touché. Qu'il pourrait en pleurer si ses larmes n'avaient pas tant coulées hier soir. Ses jointures sont blanchies et crispées, sa poigne est forte sur le volant. Ses sourcils sont froncés, il est tendu comme un arc et sa mâchoire est comme disloquée. Il est effrayant quand il fait ça. Il pourrait tout aussi bien descendre de la voiture et tabasser le premier passant venu que je n'en serais pas étonné. Il reste silencieux un long moment. Et le temps semble s'étirer, se ralentir, à moins que ce ne soit les battements mon cœur.

- Merci.

Sa réponse est tellement minimaliste et nulle que ça me fait sourire. Zayn et les mots n'ont décidément jamais été en bon termes. Alors je décide de lui répondre sur le même ton.

- De rien Zayn, de rien.

Et il sourit. Je suis fière de moi.


Fire meet Gasoline H&LOù les histoires vivent. Découvrez maintenant