Chapitre IV

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- Louis, il faut qu'on en discute.
- Mais pourquoi ? Tout va bien je te dis, tout s'est déroulé comme prévu.

Zayn est lascivement étendu face à moi sur le tapis molletonneux de ma chambre, une canette de coca à la main et une paille dans la bouche, il n'a jamais su boire à la canette, c'est quelque chose qui m'a toujours amusé. Une moue déforme ses traits, il roule sur le dos adoptant une pose de modèle de charme et me fixe à la renverse, aux travers de ses cils.

- Aller Lou', on doit en discuter, et même si c'est ce que tu penses, non, tu n'es pas seul sur ce coup là.


Je soupire et passe mes doigts dans le tissus épais au sol, mes pieds se frotte contre la douceur du tapis et mes orteils se recroquevillent, appréciant la caresse. Je regarde mon ami dans les yeux et je constate qu'il ne m'a pas lâché du regard.

- Tout est sous contrôle, d'accord ? Je ne lui ai même pas adressé la parole.

Il hausse les sourcils et lâche sa paille qui atterrie sur le tapis, je n'ai pas le temps de protester à la tâche qu'il vient probablement de faire sur les franges immaculées qu'il me coupe la parole.

- Attend, tu n'as même pas eu le droit au speech « je suis au dessus de toi, je suis un mec de gang, lèche moi les pieds ? » il rit

Je pouffe en buvant une gorgée de coca et je roule les yeux.

- Ça n'a pas l'air d'être le genre de la maison tu sais.

Il pose sa tête sur sa main en s'appuyant sur le coude, pensif.

- A quoi ça sert d'être dealeur si tu ne joues même pas au mec dangereux ? demande t'il soudainement sérieux

Je hausse les épaules.

- Je n'en sais rien Zayn, peut être que certains ne s'en ventent simplement pas.
- Mais pourquoi... ? 

Il me presse pour avoir une réponse et inconsciemment, ça m'irrite. Je souhaite simplement retourner à nos conversations habituelles du mercredi après-midi, celles qui se résumaient à Maths, coca et potins. Dit comme cela, ça fait vachement féminin, et bien souvent cette appellation faisait grincer Zayn des dents. Mais je l'ai toujours vécu comme cela et même si il jouait au dur, je savais que cette tradition était ancrée en Zayn, inscrit dans ses gènes, au plus profond de lui même.

- Écoute, je sais que tu crèves d'envie de tout savoir, mais s'il te plait, ne pourrions-nous pas simplement parler d'autre chose ? Je te rappelle que j'y retourne ce soir, j'aimerais ne plus y penser.

Il se redresse et s'assied en tailleur, semblant coupable. Il attrape son stylo bleu qui avait roulé sous le lit entre ses doigts fins et joue avec le capuchon.

- Désolé, ouais, t'as sans doute raison.

Je n'ajoute rien et replonge le nez dans mon cahier de Math, les chiffres n'ont jamais été mon fort, et je dois y mettre toute ma concentration pour décrypter les formules qui se dressent devant moi. Quand je pense à mon père qui a voulu pendant un temps me voir faire médecine, je souris piteusement. Heureusement que ma mère l'a raisonné en lui expliquant clairement qu'il serait plus déshonorable de me voir foirer ma futur carrière de chirurgien à cause des Maths que d'exercer la seule chose où j'excelle, le piano.

Zayn souffle et se rapproche de moi, soudant nos épaules.

- C'est pas comme ça idiot, je te montre si tu me promets de jouer un morceau.

Je souris et je secoue la tête.

- Ça marche, sors moi de cet enfer et je te serai dévoué corps et âme.

Alors il m'explique tout en piochant dans l'assiette de cookie à nos côtés, ses préférés, ceux au beurre de cacahuète. Je décroche rapidement, je laisse mon esprit vagabonder. Il s'échappe par la fenêtre entrouverte, emporté par la brise. Je suis dans la ruelle, je pourrais presque sentir le froid picorer mes joues. Je suis seul avec lui, je vois sa silhouette au loin, toujours assis sur le couvercle de la benne close. Je veux m'approcher mais mes jambes ne répondent plus. Je suis condamné à l'observer à distance, ses pieds battent contre le métal de la benne, son portable et allumé à ses côtés et il joue toujours avec son briquet, la flamme voltige et je suis son trajet du regard, attiré comme un moustique par la lumière. Elle se déforme et se reforment sous mes yeux, elle danse et forme des ombres sur les murs. J'ai besoin de la toucher, peu importe si elle me brûle, la raison m'est inconnue et pour dire vrai je n'ai même pas envie de la savoir. Je veux la sentir. Puis on commence à appeler mon nom, on le chuchote et on le hurle tout à la fois, c'est lui, du moins c'est ce que je pense. Pourtant les mots ne semblent pas s'accorder aux mouvements de ses lèvres, il chuchote la même phrase, semblable à une litanie, je le vois à la répétition des même mouvements par ses lèvres et tout à coup on me pousse, on me secoue et je tombe à la renverse, mon crâne s'éclate contre le sol qui se déforme pour l'accueillir sans trop de dommage, et puis... Et puis j'ouvre les paupières.

- Oh ! Louis ? Tu vas bien mec ? Je savais que les Math c'étaient chiant mais de là à te faire roupiller.

Je me redresse de sur le dos et me masse l'arrière du crâne.

- Je suis désolé Lou', je t'appelais mais tu ne répondais pas, c'était flippant, j'ai finis par te donner un coup d'épaule.
- C'est rien, alors prêt à entendre ton morceau ?

Il me regarde suspicieusement et finit par hausser les épaules.

- T'es sûr que ça-

Je ne lui laisse pas le temps de protester, je me lève rapidement en le bousculant légèrement. Ma tête tourne légèrement alors que je m'agrippe au rebord ma commode. J'ouvre le clapet du piano et je fouille dans les partitions entassées à mes pieds en me penchant tellement que je risque de tomber. Je sens la présence de Zayn dans mon dos et son souffle sur ma nuque et je sens aux battements de mon cœur qui s'apaisent que ça me rassure. Il choisit un de mes morceaux favoris, il est signé par un compositeur inconnu et je trouve cet aspect merveilleux. Quand une partition est le fruit de la réflexion d'un grand compositeur, notre choix est inconsciemment reformaté à la vue du nom célèbre, on se force à trouver chef-d'œuvre ce qui ne l'ai peut être pas. L'inconnu doit travailler dur et se saigner pour rendre son œuvre agréable à l'oreille, pour mettre ses tripes sur chacune des portées. C'est en partie pour cette raison que j'aime énormément ce morceau, j'imagine facilement le musicien derrière son instrument, composant comme un dératé, écrivant, raturant, jurant, hurlant sa frustration. C'est morceaux sont plus humains que certaines des âmes errant sur cette Terre, ils sont emplis de failles, ils ne sont pas fait pour être aimés et compris de tous, juste par ceux qui ont le courage et l'envie de regarder aux delà des murs.

Les portées défilent et ça m'apaise, la musique m'a toujours servie. Ce n'est même plus une échappatoire mais plutôt une béquille dans ma vie. Un pilier. Je pourrais mourir si l'on m'interdisait de jouer. Quand je joue je ne pense plus, seules les notes comptent. Jouer apaise mon âme, et c'est cette unique chose qui me permet de ne pas craquer en pleine journée, devant ceux qui ne comprennent pas et qui sont sans intérêt. Quand je joue le masque tombe et les notes s'envolent et ça me permet d'attendre la nuit pour hurler ma colère et ma frustration.


J'ai toujours su que j'étais comme ces bêtes nocturnes. Je ne sors pas le bout de mon nez la journée, du moins, ce que je garde jalousement en moi, comme un secret honteux reste tapit dans les recoins de ma tête, pliée proprement, attendant le crépuscule pour s'étendre, s'étendre, se gonfler et reprendre sa place méritée. J'aurais aimé être une chouette ou peut être une chauve souris, je me serais même contenté du statut de stupide papillon de nuit. J'aurais tellement aimé pouvoir me glisser de chez moi, uniquement aux affaiblissements des rayons du soleil. Mais je ne suis qu'un simple humain, un de ceux qui doit sourire quand tout va mal, aimer avec vacarme et hurler en silence. Tant pis si je crève d'autres horizons, tant pis si mes parents sont l'ignorance incarnée et tant pis si mes meilleurs amis se sont déchirés sans me demander mon avis. Je suis un Humain, un vrai. Je dois aimer le soleil qui chauffe ma peau et fuir la lune qui crée les monstres sous nos lits. C'est inévitable. Triste constat de ma différence.

- Lou' ? Hey tu planes mec ? Allo ici la Terre qui appelle le Jupiter.
-C'est la Terre appelle la lune, idiot.
-Rien à faire, tu m'as répondu, c'est le principal. Qu'est ce qu'il se passe Lou' ? T'avais l'air perdu.

Je me perds dans ses yeux brun qui me fixent avec toute la tendresse du monde et pendant un instant, j'hésite, j'hésite à lui ouvrir mon cœur. Zayn connait tout, absolument tout les petits détails et choses qui font de moi ce que je suis aujourd'hui. Que ce soit la date de la première fois que j'ai embrassé une fille, ou, la taille de mes attributs, il connait la moindre part de moi. Je pourrais tout déballer, me libérer de ce poids sur mes épaules et de cette boule qui obstrue ma trachée. Je pourrai laisser s'envoler tout ce qui m'étouffe et m'affaiblie. Me rend différent et incompris. Dans ses yeux mordorés, je vois dégouliner tout la compassion du monde. Je me mordille la lèvre inférieure. Le débat qui fait rage en moi me laisse incertain. Les mots me brûlent la langue et me démangent. J'entrouvre la bouche mais je ne réussis pas à en tirer un son concluant. Je joue avec mes mains et je le regarde au travers de mes cils.

-Ne t'inquiète pas... C'est... C'est rien. Je suppose que c'est cette histoire de trafique qui me pèse.

Je n'y suis pas arrivé.

Son regard compatissant se pose sur moi et il attrape ma main. J'ai envie de vomir.

- Tu sais Lou', je peux toujours y aller à ta place.
- Ne t'inquiète pas pour moi.

Fire meet Gasoline H&LOù les histoires vivent. Découvrez maintenant