CHAPITRE 2

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Mes parents m'invitèrent à déjeuner. Ils voulaient sans doute me réconforter, atténuer ma souffrance, calmer mon courroux. Cette entreprise était hasardeuse mais je ne pouvais les contredire.Après, le repas, mon père me proposa un scrabble. J'acceptai sans rechigner. Le début de la partie fut laborieux. Les lettres n'étaient pas à mon avantage. Je houspillais contre ce jeu que je trouvais austère et fastidieux.

-" De toute façon, tu as toujours détesté le Scrabble. " me répondit mon père, sentencieux.

-" C'est le jeu le plus stupide de la terre." répondis-je,tartarin.

-" Tu peux quand même faire un mot avec tes lettres ? " demanda mon père.

-" Avec des X et des Y ? " répondis-je.

Mon père examina ses lettres. Il me fit un sourire taquin.

-" J'ai un mot en 10 lettres : SYCOPHANTE" annonça t-il, triomphal.

-" Ca existe ça ? " demandai-je, narquois.

-" Regarde dans le dico. " répliqua mon père, séditieux.

Je regardai dans le petit dictionnaire posé à coté de moi. Il n'y avait pas une trace de ce vocable.

-" Je ne trouve, pas désolé". répondis-je.

-" Un sycophante, c'était un délateur professionnel, au temps de l'Athènes antique. " répondit-il.

-" Tu en sais des choses.." répliquai-je

-" Ca tombe mal pour quelqu'un qui veut devenir écrivain" dit mon père.

Ma mère, qui regardai la télévision, demanda à mon père de me laisser tranquille. Il est vrai que je n'avais pas le coeur à rire, même si je tentai de farder mon amertume et ma désolation.

-" De toute façon, je n'ai plus envie de jouer" annonçai-je.

-" Qu'est-ce qui ne va pas ? " demanda mon père.

-" Je repense encore à Lucie" répondis-je.

Mon père soupira.

" Tu vas arrêter avec ça. Il y a pleins de filles autour de toi." dit-il.

-" Elle me manque. Je rêve encore d'elle la nuit." répondis-je.

-" Tu vas surement rencontrer quelqu'un de plus intéressant. Comme on dit , une de perdue..."

-" Tu ne me dirais pas ça si j'étais une fille. Tu me consolerais, tu m'épaulerais, tu..."

-" Tu crois que tu t'es bien comporté avec Linda ? " questionna t-il.

-" Linda, c'était pas la même chose. Elle était jalouse, envahissante. Elle me rabaissait. J'étais obligé de me séparer d'elle. " répliquai-je.

-" Tu trouves toujours une excuse. " répondit-il.

Un court silence s'installa. Je me levai.

-" Qu'est-ce que tu fais ? " demanda mon père.

-" Je m'en vais. " répondis-je.

-"Déjà ? Tu veux pas jouer aux cartes ? "

-" Non, merci papa. "

J'embrassai mes parents et quittai le salon. Je me dirigeai vers la porte d'entrée pour prendre mon manteau. J'entendis un cri.

-" Michel !" hurla ma mère.

Je me précipitai vers le salon. Je vis mon père se tenir le coeur. Blafard, Il n'arrivait plus à respirer. Il poussa des gémissements et s'effondra aussitôt.


******

L'enterrement fut sobre et quiet. Il y avait bien de la tristesse, mais nous étions élevé dans la pudeur et le refoulement. Certains se retournaient pour pleurer. Ma soeur, Pauline, était présente. Elle était accompagné de son mari, un homme à l'allure falot. Le charisme au vestiaire et le sourire absent. Un Buster Keaton sous prozac. Converser avec ce type s'avérait mission impossible.

Lucie était présente à la messe. Je fus à moitié surpris de la voir, car elle connaissait bien mon père, malgré nos trois mois de relation.

Le buffet qui suivait la cérémonie était à l'avenant. Il se déroulait chez mes parents, dans mon ancienne maison. Les gens étaient calmes et ne pipèrent pas. Je dégustai un mini sandwich en triangle, verre de champagne à la main, quand Lucie s'avança vers moi. Elle semblait gênée.

-" Salut. " dit-elle.

-" Salut. " répondis-je.

-" Désolé pour ton père. C'était vraiment quelqu'un de gentil. "

-" Merci. "

-" Comment ça va ? Le boulot ? "

-" Mal. J'ai eu un entretien avec mon responsable. On est dans le rouge. On risque de fermer. "

-" Pourquoi ? " demanda t-elle.

-" Les gens achètent sur internet maintenant. Notre métier est mort. De plus en plus de librairies ferment. Même les grandes enseignes." répondis-je.

-" Tu vas faire quoi ? "

-" Je ne sais pas. "

-" okay. " répondis t-elle, avec un mélange de finesse et de compassion.

-" Tu me manques. " dis-je.

-" Vincent, s'il te plait. " dit-elle.

-" Ca me manque de t'embrasser, de t'enlacer, de te caresser. Ca me manque même de me disputer avec toi. Au moins, il y avait de la passion." affirmai-je.

-" Arrête, please. Pas aujourd'hui. Tu le sais. " dit-elle.

-" Je suis désolé, Lucie. Je déteste tellement ma vie. J'ai perdu mon père, je vais perdre mon travail et je t'ai perdu toi. Pourquoi tout ça ? Pourquoi ? "

-" Vincent, il y a des gens qui vivent des situations bien plus difficiles. Tu n'es pas le seul à subir. "

-" Je m'en fous des autres" répondis-je, outrecuidant.

Je buvais ma flûte de champagne, les larmes aux yeux. Lucie ne savait plus quoi dire.

Vers dix-sept heures, les convives quittèrent la maison. Je restai un moment avec ma mère, ma soeur et son mari. Nous regardions des photos de famille.Je n'avais pas forcément envie de me voir enfant, mais je dus me résoudre à la tache.Pauline consola ma mère avec bienveillance.

J'en profitai pour voir ma chambre d'enfant. Ma mère avait enlevé tous les posters. Michael Jackson, Cantona, Zidane, les films Titanic et Jurassic Park, avaient eu le privilège de garnir les murs de mon dortoir. Je regardai si il y avait toujours le vieux numéro Playboy que javais scrupuleusement caché dans un tiroir de mon bureau. Il n'y était plus. Je n'avais pas spécialement la nostalgie en héritage, mais je ne pus camoufler ma déception. C'était quand même un numéro unique avec Pamela Anderson en couverture.


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