Depuis qu'il avait rencontré Aleksy, Tom était troublé. Il se savait que penser de cette rencontre, mais quelque chose était sûre: ce garçon avait changé quelque chose en lui. Il ne pouvait pas vraiment dire ce que c'était, il avait du mal à mettre le doigt dessus, ou plutôt à mettre un nom sur la manière dont il se sentait depuis cette altercation dans la bibliothèque. Sans cesse il se repassait la scène dans sa tête: la longue silhouette fine et élancée se découpant sur le soleil couchant, le souffle dans son cou, les mots chuchotés à son oreille... Et les frissons. Ses frissons, ceux qui n'avaient pas arrêtés de le parcourir et qu'il ne pouvait expliquer.
De retour dans sa chambre, le garçon avait éparpillé les différents livres sur son lit dans l'intention de les feuilleter. Cependant, quand ses yeux s'étaient posés sur les pages blanches, d'autres images se superposaient aux caractères noirs, et Tom ne put se concentrer. Il avait donc reposé les livres au pied de son lit pour se glisser dans les draps, espérant être de meilleure forme pour ce devoir le lendemain. Toutefois, sa nuit fut agitée. Il se réveilla tôt le lendemain matin et fut incapable de se rendormir. Nous étions samedi, ainsi il décida de se lever et se prépara discrètement sans réveiller Eli, son compagnon de chambre. Puis, les livres sous le bras, il partit pour la bibliothèque en faisant un détour par la cafétéria pour prendre un petit déjeuner sommaire. Alors que jusqu'à présent l'idée de se rendre à la bibliothèque ne lui aurait jamais traversée l'esprit, quand il avait cherché un endroit calme pour travailler sans déranger Eli qui ne se lèverait qu'à 11h30, ce fut le premier lieu auquel il pensa. A vrai dire, désormais il ne voyait plus cette grande pièce du même oeil qu'auparavant.
En ce samedi matin, 8h30, celle-ci était d'ailleurs vide. Le jeune homme s'installa donc à une table près de celle où il avait rencontré le brun hier, et réussit se coup-ci à se plonger dans sa lecture. Cela devait faire une heure et demie qu'il avait commencé son travail quand un "salut" murmuré contre son oreille l'avait fait sursauter. Simultanément, il sentit un délicieux frisson lui parcourir l'échine, et il n'eut pas besoin de se retourner pour connaître la personne qui était dans son dos.
"Aleksy, répondit-il laconiquement à l'intention de ce dernier.
— Ne cache pas ta joie de me voir surtout, se vexa l'autre.
— Excuse, je bossai.
— Ah oui alors, ça avance ce devoir de sciences sociales?"
Le plus jeune avait posé cette question d'un air enjoué avant de tirer une chaise et de s'asseoir aux côtés de Tom avec la souplesse et la grâce qui le caractérisait tant. Ce dernier n'avait d'ailleurs pas tant de difficultés face à son devoir, mais il était vraiment heureux de retrouver ce garçon brun pétillant.
"Oui ça va, je pense que je m'en sors pas trop mal...
— Alors, t'as décidé de traiter quoi? Anthropologie des religions? de l'art? juridique? Ethnobiologie? Ethnochoréologie? demanda l'autre vivement intéressé.
— Eh ben! T'es plutôt calé toi! T'es plus jeune que moi pourtant non? répliqua un Tom mi-étonné mi-amusé.
— Ouais c'est vrai, j'ai un an d'avance. Je suis au même niveau que toi en fait, quoiqu'un peu plus avancé dans le programme...
— Surtout en sciences sociales apparemment!
— Disons que j'ai eu le même devoir à faire. J'ai choisi l'anthropologie du corps que j'ai vraiment trouvé passionnante!
— Anthropologie du corps? Tu t'es donc intéressé aux modifications de l'apparence?
— Non, en réalité j'ai plutôt creusé sur le rapport au corps."
Devant ces propos, Aleksy vit bien qu'il avait perdu son aîné. Un sourire malicieux aux lèvres, il se leva gracieusement de sa chaise:
"Attends, je vais t'expliquer. Le rapport au corps est différent pour chaque culture, et propre à chacun. Dans notre culture européenne occidentale, le contact physique est plutôt moindre. Je peux te toucher le bras (il joignit le geste à la parole, faisant évidemment frissonner Tom), la tête, le torse, la cuisse... N'essaye pas de dissimuler tes tressaillements; c'est normal, tu n'es pas habitué à ce qu'un parfait inconnu se comporte ainsi avec toi. Pourtant, dans certaines cultures, le salut se fait par une profonde accolade (il continuait son discours en effleurant toujours l'autre garçon qui, comme le jour précédant, c'était figé face à cette proximité). Dans d'autres, même entre inconnus, il se fait ainsi (il déposa un baiser furtif sur la joue de son aîné, et fut satisfait de voir les joues de ce dernier s'empourper). Le rapport au corps est vraiment très intéressant. Il permet d'apprendre de nombreuses choses sur les gens; leur caractère, leur identité..."
Au fur et à mesure de son discours, il baissait la voix, et ses "touchers expérimentaux" ressemblaient de plus en plus à des caresses sur la peau de Tom. Celui-ci était tout à fait absorbé par les propos de son cadet qui tournait autour de sa chaise sans jamais rompre le contact physique entre eux. Quelque part, il sentait que ce contact se faisait de plus en plus insistant et, même s'il savait que cela n'était rien de plus qu'une "étude éthnologique", il ne put s'empêcher de ressentir une vague de chaleur là où les doigts du brun étaient passés. D'ailleurs, depuis le début de cette 'étude', il sentait bien que son rythme cardiaque était plus élevé qu'à son habitude. Et tout ça, toutes ces réactions, c'était comme si Aleksy les avait prévues, comme s'il était le chef d'orchestre de ses organes, menant clairement la danse de tous ces bouleversements à l'intérieur de lui-même. Comme pour confirmer ses pensées, lorsque le plus jeune passa une jambe au dessus de ses genoux, releva son menton de deux doigts et rapprocha son visage du sien, il sentit clairement la vague de chaleur qui, cette fois-ci, parcourut tout son corps, et les battements de son coeur qui étaient désormais sourds dans sa cage thoracique.
"J'ai envie de mieux te connaître Tom."
Alors, l'interpelé observa la silhouette élancée courbée au dessus de lui, le dominant. Ce garçon était d'ailleurs dans une telle position qu'en pliant les genoux, il se serait retrouvé assis sur ceux de son aîné. Sous l'emprise totale d'un mystérieux jeune homme brun, Tom se sentit pour la première fois incroyablement impuissant et... spécial. Ces deux émotions se percutaient en lui pour finir par fusionner, apportant au garçon quelque chose dont il n'arrivera plus jamais à se débarrasser sans pour autant pouvoir mettre un nom sur ce sentiment. Il était totalement perdu et déboussolé, mais il aimait ça. Même mieux, il l'adorait.
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Désir Ardent
Short StoryTom.Al Tom n'aimait pas vraiment aller à la bibliothèque. Mais ça, c'était avant d'y rencontrer Al... "Je te préviens que je risque de ne plus répondre de mes actes..." ~~~ Histoire d'amour entre hommes #202 dans Nouvelles (25.08.16) #206 dans Nouv...