M : Es-tu prête ?
F : Peut-on l'être vraiment ?
M : C'est pourtant toi qui m'as appelée !
F : Oui. Mais mon désir de quitter ce monde se double d'une peur que je n'arrive pas tout à fait à maîtriser. La peur de l'inconnu sans doute...
M : C'est dans la nature humaine d'avoir peur.
F : Alors je suis terriblement humaine car la peur a toujours été présente, à chaque pas que j'ai fait, à chaque heure que j'ai vécue.
M : Il faut beaucoup de courage pour accepter de vivre l'esprit ouvert mais les yeux bandés : c'est toute la contradiction de votre monde.
F : Ne rien savoir de la seconde qui va suivre, de l'heure qui va s'écouler, des années qui nous restent est une chose si difficile à accepter !
M : Il est difficile de vivre au bord du vide, c'est vrai. Certains y arrivent mieux que d'autres.
F : J'ai le sentiment de n'avoir jamais fait partie de ceux qui maîtrisent leur destin. Ma vie a été si chaotique ! Une mer démontée sur laquelle je me suis efforcée de maintenir un radeau prenant l'eau de toute part. le ventre noué par un sentiment d'impuissance, le cœur chaviré...
M : Ah oui ! Le cœur... Parlons-en... Vous en faites si grand cas et en prenez si peu soin...
F : Sans doute. Certainement même, tu as raison. C'est si facile de se cacher derrière ses peines. Si facile de les prendre pour prétexte et accomplir toutes ces lâchetés que nous reprochons aux autres ... Peux-tu me dire si j'ai fait preuve de cœur ?
M : Ce n'est pas à moi de répondre à une telle question. Je ne suis pas le Juge. Rien que le Passeur.
F : Mais tu en as tant accompagnés que tu dois bien avoir une petite idée, non ? On dit qu'il y en a qui hurlent et qui regrettent, d'autres qui nient. Et puis, il y a ceux qui ne disent rien, qui se réfugient dans leur silence : des brebis... Et ceux qui acceptent, ceux qui rient... Dans quelle catégorie me places-tu ?
M : Tu connais déjà la réponse.
F : Non, je ne sais pas ce que je ferai une fois le seuil franchi. J'ai eu si peu de courage ici, pourquoi en aurai-je après ?
M : Crois-tu vraiment que ce soit une question de courage ?
F : De lucidité alors ? Ou de franchise ?
M : Peut-être...
F : Qu'y a t-il au delà ?
M : je ne peux pas répondre à cette question avant que tu n'aies franchi la porte, tu le sais...
F : Oui, bien sûr. Tu es la porte.
M : Je ne suis pas la Porte, juste une de ses faces.
F : Qu'elle en est l'autre alors ?
M : La Vie. C'est elle le côté de la porte que tu pousses en naissant. Maintenant tu t'apprêtes à la franchir en sens inverse et c'est moi qui te tiendrai la main.
F : Est-ce douloureux ?
M : Pas plus que ne l'est la naissance.
F : Tu te moques de moi. Ce n'est pas une réponse !
M: ...
F : Si tu es là, c'est que mon temps s'est écoulé ?
M : Oui.
F : Mais j'ai encore des sentiments, des attachements qui sont autant de chaînes...
M : Elles se briseront à l'instant même où tu passeras de l'autre côté.
F : Alors, j'oublierai tout ?
M : Comme tu as déjà oublié auparavant, lorsque tu es venue au monde : c'est la Loi.
Personne ne peux porter plus d'un fardeau à la fois.
Il faut être libre pour commencer autre chose...