Chapitre 1

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Ce n'était pas un hasard si le capitaine McKornic avait choisi l'Endeavour pour sa nouvelle expédition. Le magnifique bâtiment, de cent six pieds de long, pouvait supporter les gros temps et accueillir un équipage de près de quatre-vingt-dix hommes. Ses trois mâts de bois chargés de voiles surmontaient une robuste coque de chêne conçue pour en faire l'un des navires les plus maniables et les plus sûrs de son époque. Après trois ans passés à naviguer entre les lointaines terres australes, le retour de ce joyau dans son port d'attache attirait tous les regards.

Non, le capitaine McKornic n'avait vraiment pas choisi l'Endeavour par hasard. Il fallait au moins ça pour complimenter un homme de sa stature.

En ce jour de départ, tout Plymouth s'était réuni sur les quais pour ne rien rater du spectacle qu'offrait le navire : ses voiles d'un blanc éclatant prêtes à être déployées, sa ligne de flottaison alourdie par la cargaison nichée dans la cale, la nuée de marins à l'ouvrage sur le pont. Le commanditaire de l'expédition, un jeune scientifique issu de la noblesse, venait d'embarquer avec ses instruments et ses rouleaux de calcul entassés dans de minuscules malles menaçant d'exploser à tout moment.

Il ne restait plus qu'à choisir parmi la foule d'enfants amassés à terre une nouvelle recrue, qui aurait l'honneur d'intégrer l'équipage pour apprendre les ficelles du métier. C'était la tradition.

Luka appartenait à ce groupe-là.

Du haut de ses dix-huit ans, elle faisait figure d'oiseau rare au milieu des autres volontaires à peine pubères. Bien plus âgée que la moyenne habituelle, plus grande et plus assurée, elle ne s'étonnait guère d'attirer les regards – raison pour laquelle elle avait attaché ses longs cheveux d'or en une tresse sévère qui retombait lourdement entre ses omoplates. Ainsi, tout le monde verrait qu'elle ne craignait rien. Ni les jugements, ni les échecs, ni les rires qui s'ensuivraient si on lui refusait une nouvelle fois la place à bord. Et, surtout, personne ne manquerait la clarté déstabilisante de ses iris, qu'elle savait manier comme une lame pour intimider quiconque s'aventurait à les fixer un peu trop longtemps.

Elle savait pertinemment qu'à cause de son âge et de son sexe, ses chances d'être engagée comme matelot avoisinaient le néant. Mais elle s'en fichait. Éperdument. Ses rêves allaient bien au-delà des préjugés arriérés d'une société qui refusait d'évoluer. Ils étaient plus grands que ces gens, leurs critiques et les injures qu'ils aimaient siffler sur son passage comme si cela pouvait la décourager. Ils étaient peut-être même plus grands qu'elle – ce qui ne l'empêchait pas de s'y raccrocher un peu plus fort à chaque nouveau refus. Avec un peu plus de hargne. Un peu plus de colère, aussi.

Rien ne la ferait jamais renoncer. Elle avait le droit de prétendre à ce poste.

— Que fait une femme ici ?

Luka ravala son soupir désabusé. Cette question, on la lui posait à chaque nouvelle tentative. Elle s'attendait à l'entendre aujourd'hui, même si elle avait naïvement espéré y échapper, pour changer.

Face à elle, un homme d'une cinquantaine d'années aux traits sévères attendait sa réponse. Le capitaine, à n'en pas douter. Il en portait l'uniforme bleu nuit, les galons d'or et le tricorne noir surmonté d'une somptueuse plume d'autruche aussi blanche qu'un nuage. Mais, surtout, il possédait la posture altière et distinguée des gens habitués au pouvoir. Ses épais sourcils grisonnants s'accordaient à la perfection à sa moustache en brosse impeccablement taillée, et pas un cheveu ne dépassait de sa coiffe d'un blanc mousseux. À ses côtés, son lieutenant la dévisageait avec un scepticisme mâtiné de mépris auquel elle n'était que trop habituée. C'était lui qui avait posé la question.

Luka étira son sourire le plus avenant.

— J'attends dans l'espoir de faire partie de votre équipage, monsieur.

Le Chant des voilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant