Chapitre 5

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Ce furent des cris au dehors qui réveillèrent Luka. Elle sursauta, porta la main à sa tempe. Sa tête tournait. Non, les murs tournaient, ou... tanguaient, plutôt. Plus que d'habitude. Même l'air sentait différemment. La caractéristique odeur de poix et de chanvre avait été remplacée par une autre, tout aussi reconnaissable : celle de la pluie.

Soudain en alerte, Luka sauta hors de son lit, s'habilla rapidement et se rua hors de sa cabine pour rejoindre le pont principal.

Dehors, l'apocalypse se déchaînait.

Le ciel avait troqué sa limpide couleur azur contre de gros nuages noirs d'où s'échappaient de phénoménales bourrasques de vent. Dans le gréement, les hommes de quart se dépêchaient d'affaler les voiles tandis que des trombes d'eau s'abattaient sur eux.

Un éclair zébra les cieux ; le tonnerre gronda. L'Endeavour fit une embardée. Luka fut projetée contre le mur et se rattrapa de justesse à une poignée de porte avant de s'étaler sur le plancher. Elle se remit promptement sur pieds puis s'élança sous la pluie torrentielle à la recherche d'ordres à exécuter. Il y en aurait forcément ; bien qu'elle ignore tout de la marche à suivre, elle savait que le navire aurait besoin de tous les bras disponibles pour le manœuvrer.

Jamais encore elle n'avait vu pareille effervescence. Même la place du marché de Plymouth en pleine matinée paraissait vide à côté de tout ce remue-ménage. Chaque marin présent était mobilisé, chaque homme s'activait avec une telle ferveur qu'il prenait la place de dix autres.

Elle glissa plusieurs fois sous l'intensité de la houle, mais personne n'y fit attention, sauf lorsqu'on lui trébucha dessus avant de hurler de dégager du chemin. Malgré tout, elle continua sa course autour du navire à la recherche du capitaine, d'Axel ou du lieutenant Jenkins.

Elle trouva ce dernier perché tout en haut du mât de misaine en train d'aider à replier une voile déjà gorgée d'eau. Il ne la vit pas.

— Luka !

Elle fit volte face en direction de la voix qui tentait de couvrir le raffut de la tempête.

— Qu'est-ce que je peux faire ? cria-t-elle de toute sa voix.

— Quoi ?

— Dis-moi où je peux être utile ! répéta-t-elle en essuyant les gouttes qui lui coulaient dans les yeux.

Axel observa les alentours, pas le moins du monde perturbé par l'agitation.

— Récupère les bouts rangés dans la malle sous l'escalier tribord du gaillard d'arrière et attaches-en partout. Lignes de sécurité, précisa-t-il en devinant la question qui s'apprêtait à franchir ses lèvres. Les hommes doivent pouvoir se raccrocher à quelque chose. Je n'ai pas le temps de te montrer où les placer, donc mets-les où tu les estimeras nécessaires. Tu connais tes nœuds ?

Elle acquiesça.

— Alors vas-y !

Il repartit en courant avec une agilité prodigieuse. Luka s'attacha les cheveux avant de s'élancer à son tour sur le pont.

À son grand étonnement, ce dernier s'avéra moins glissant à mesure qu'elle y trouvait ses repères. Elle zigzagua entre les marins avec une aisance relative, fit abstraction de la pluie torrentielle qui brouillait sa vue et des balancements chaotiques de l'Endeavour, jusqu'à atteindre la malle, qu'elle ouvrit.

Un sourire illumina son visage. Elle avait sous les yeux un paquet de fines cordes bien solides destinées aux cas de tempête comme aujourd'hui. Elle en saisit une grosse poignée, les cala sous son bras et referma le coffre avant de reprendre sa course au milieu du vacarme de la tempête et des hommes rendus flous par la pluie.

Le Chant des voilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant