C'était une nuit brumeuse, sans étoiles. La lune brillait haut dans le ciel, cachée derrière un léger voile cendreux dont les rayons argentés filtraient à travers les volets en bois, nimbant ma chambre d'un drap nacré. Les murs vert olive paraissaient plus froids qu'à l'ordinaire. La pâleur des feuilles éparpillées sur mon bureau semblait fantomatique, tel un spectre s'élevant de celles-ci. Face au bureau au vernis écaillé se trouvait un lit en bois une place, sur lequel étaient inscrites de nombreuses gravures, qui pour la majorité, étaient des noms rayés semblable à une liste. Je secouais violemment la tête pour bloquer mon imagination avant que les choses ne dérapent. Lorsque je changeais de position, le lit grinça, tandis que les draps en coton étaient doux contre ma peau. A mes pieds était repliée une épaisse couverture en laine bleue brodée de fils d'or. À en juger par la décoration d'une autre époque, celle-ci n'avait jamais été refaite depuis l'ouverture du campus. Les générations d'étudiants se sont succédé, et les meubles, la peinture - quoique récemment rafraîchie - étaient restés encrés dans les valeurs du domaine universitaire. Splendeur d'antan, la bâtisse ressemblait à un vieux manoir du temps des chevaliers. Les briques rouges qui paraient la façade s'effritaient aux endroits où le lierre rongeait les joints de ciment et les allées étaient entretenues avec soin, si bien que les haies taillées à la branche près, s'alignaient fièrement de chaque côté des chemins de marbre.
La nuit dernière avait été mouvementée. Je n'avais trouvé le sommeil que pour une ou deux heures seulement, mais lorsque je plongeais dans les bras de Morphée, mes songes étaient peuplés de cauchemars. La mystérieuse silhouette me revenait sans cesse, son arme brandie au-dessus de la tête, prête à frapper sa victime qui s'écroulait dans une flaque de sang, inerte, ses yeux enflés tournés vers moi, me suppliant silencieusement de la sauver. Un long frisson me ramena à moi que je m'empressais, une nouvelle fois de chasser, tout comme mes inquiétudes, d'un coup de tête.
Nous étions samedi. Nos semaines de révisions intenses avaient débuté en vue des prochains concours, ce qui signifiait faire une croix sur une poignée de matinée de repos. Viendrait à son tour notre long mois de vacances avant d'entamer un nouveau semestre. Les épreuves commençaient dans deux semaines, ce qui me laissait assez de temps pour terminer mes révisions et flâner dans les rues de Londres, en ce jour humide et neigeux.
À présent assis en tailleur aux pieds du lit, mon ordinateur posé sur les cuisses et n'ayant pas retrouvé le sommeil, j'étais absorbé par la rédaction de mes notes acquises lors des cours sur les tumeurs et les procédés chirurgicaux. À l'exception d'une infime partie de mon cortex cérébral qui ressassait la mystérieuse disparition de Monsieur Donovan, toutes mes cellules œuvraient à produire un devoir correct. La bataille était perdue d'avance car le doute s'insinua dans le fil de mes pensées, se fraya un chemin à travers le vocabulaire technique de la chirurgie. Sans crier gare, je replongeais dans les méandres de mon enquête en solitaire, oubliant mon ordinateur et tout ce qui se trouvait alentour.Plus tôt dans la nuit, aux alentours de vingt-trois heures et une fois le campus débarrassé de ses derniers occupants, je me suis introduit dans la conciergerie où j'ai dérobé un jeu de clés, un bâtiment vétuste où les hommes d'entretiens stockent leur matériau. Une fois les clés enfouies dans la poche de ma veste, je suis retourné sur mes pas. Traverser les allées verglacées du parc à toute allure n'est pas une activité que je recommanderai, ça s'est avéré plus dangereux que prévu. Le souffle court, une cheville foulée plus tard, je me suis retrouvé aux pieds de l'immense bâtiment à trois étages, qui se dressait dans toute sa splendeur au-dessus de moi, comme si je n'étais qu'un misérable insecte. J'ai grimpé en hâte une volée de marche puis je me suis arrêté sur le marbre zébré du perron, baigné dans un halo de lumière jaunâtre. L'imposante porte à double battant en chêne brut, sur laquelle figurait un caducée tapissé de feuille d'or semblait me jauger en silence, l'air moqueur. Les yeux des serpents sertis d'ambre luisaient sous l'éclairage blafard des réverbères. C'était, tremblant de la tête aux pieds que j'ai introduit l'objet du délit dans la serrure, en la tournant lentement. Un cliquetis avait brisé le silence m'alertant que le mécanisme s'était mis en branle. J'ai lancé un dernier regard en arrière, inspiré profondément puis pénétrer dans les ténèbres du hall d'accueil. Il était encore temps de faire marche arrière, de me glisser à nouveau dans l'entre-bâillement... la lourde claqua brusquement. J'ai sursauté. Je me suis figé un instant, retenant ma respiration, l'ouïe en éveil. J'ai soupiré de soulagement après d'interminables secondes, car aucun bruit de pas précipités n'était venu briser le silence qui me collait comme un tee-shirt mouillé. Je me suis remis en marche.
Grâce à des années de fugues nocturnes, mes yeux se sont rapidement habitués à l'obscurité. J'ai avancé en alliant rapidité et prudence, zigzaguant entre les meubles qui se dressaient sur mon parcours. Ce bâtiment était un labyrinthe digne de Dédale. Les couloirs, les ailes, les passages, s'enchaînaient à n'en plus finir. Par chance, la pièce que j'ai cherchée était au rez-de-chaussée mais néanmoins à l'extrémité ouest. Le ciel dégagé illuminait doucement mon chemin, alors j'ai progressé à un rythme soutenu, en m'empêchant de me retourner à chaque instant. Mon cœur battait à tout rompre tandis que j'ai transpiré abondamment sous ma veste molletonnée. Le bruit de mes pas s'est répercuté contre les murs tapissés d'affiches plastifiées, j'étais terrifié à l'idée qu'ils ne me trahissent.
Soudain, à un croisement entre deux couloirs mal éclairés, je me suis arrêté. Un bruissement a rompu le silence oppressant. Je me suis demandé si je devais être rassuré à l'idée de pas être seul ou totalement terrorisé parce que justement, je n'étais suis pas seul. Mon rationalisme m'avait fait faux bond, livré à moi-même. Je me suis plaqué contre le lambris usé. J'ai attendu. Le sang pulsant dans mes tempes, me donnant un horrible mal de tête. Dans ma poitrine, mon cœur a fait un grand bon, prêt à s'en extirper. J'ai tenté de me raisonner puis osé un bref coup d'œil dans le couloir ; personne. J'ai laissé échapper un énième soupir de soulagement. Mon imagination m'avait joué un tour, le bâtiment était désert. Cependant, mes sens se sont décuplés. J'étais aux aguets, prêt à utiliser la force si nécessaire.
Un autre bruissement avait brisé le silence. Plus fort, plus proche comme s'il me poursuivait. Plutôt que de réfléchir à la situation, de me dire « ce n'est que les branches agitées par le vent », je me suis enfui. Je me suis remis à marcher. J'ai accéléré, encore et encore, à un cheveu de courir. Je n'ai pu réprimer ce long frisson qui a dévalé mon échine, comme un mauvais pressentiment. Puis après un brusque détour à gauche, je me suis enfoncé dans une épaisse obscurité. J'ai saisi mon téléphone dans la poche intérieure de mon blouson, un éclair bleuté aveuglant en a aussitôt surgit, éclaboussant les lieux d'une lumière crue. Ma transpiration a redoublé d'intensité car la peur m'a révulsé l'estomac, cependant que ma respiration s'est accélérée. Débordant d'éclats de voix et de rire, ce couloir paraissait plus vivant quelques heures auparavant. À présent vide, il était étrangement dépourvu de décoration, de charme. Pour la première fois, j'ai remarqué qu'il n'y avait pas de fenêtres, de meubles ou d'affiches, comme un tunnel conduisant à un abri sous-terrain. Des toiles d'araignées tombaient du plafond tâché d'humidité. L'entêtant mélange de parfum était balayé par un relent âcre de poussière et de moisissure, et m'a soulevé le cœur. J'ai couvert d'une main ma bouche et mon nez, le cœur au bord des lèvres. J'ai respiré profondément plusieurs fois afin apaiser le tumulte qui faisait rage dans mon système digestif. Une fois la nausée passée, j'ai repris mon chemin.
Après plusieurs minutes de cheminement silencieux, j'ai aperçu au bout de cet interminable tunnel une porte en bois brut. Deux autocollants noirs d'environ six centimètres de hauteur, m'ont alors confirmé que j'étais au bon endroit. 2B. Sur la droite, il y avait une feuille noircie d'écriture, accrochée sur un tableau en liège, encadré de baguettes en métal. Il s'agissait d'une liste d'emprunt avec divers noms, signatures, dates et heures. Emporté par la curiosité, j'ai orienté le faisceau lumineux de mon téléphone vers le morceau de papier jauni. De la pulpe des doigts, j'ai retracé l'historique. En bas de page, un détail a attiré mon attention ; le cours de Mr. Donovan ne figurait pas sur le registre. C'était pourtant le dernier de la journée. Avait-il oublié de signer avant de partir ? J'ai douté. À chaque utilisation, son nom raturé était négligemment couché sur le papier, accompagné de sa signature qui s'étirait à n'en plus finir, talonnée d'une date, d'une heure. J'ai coupé la lampe torche de mon téléphone une poignée de seconde, me plongeant instantanément dans l'obscurité. Les coins sombres se sont mélangés aux ténèbres terrifiantes, accablantes. Un amas de noirceur, un fouillis de terreur qui n'a noué davantage le ventre. J'ai fait une rapide photo du registre puis la lumière est revenue quand j'ai appuyé sur le bouton en forme d'ampoule, relâchant mon souffle. Le silence était si oppressant que le bruit de ma respiration m'a semblé produire un vacarme assourdissant. J'ai fait un pas sur le côté, je me suis figé. La porte était à demi ouverte. Mon sang n'a fait qu'un tour, ma transpiration a redoublée d'intensité, et mon cœur s'est emballé. Les hommes d'entretiens verrouillaient méticuleusement les salles à clés après vingt-une heure, pourquoi celle-ci était-elle encore ouverte ? J'ai rangé en tremblant la clé qui pesait une tonne au creux de ma main, dans la poche arrière de mon pantalon. Les sens en éveil, j'ai tendu l'oreille à l'affût d'un bruit qui aurait pu trahir une présence. Pendant ce qui m'a paru être une éternité, j'ai cru percevoir les bruits d'une respiration saccadée. Tétanisé, j'ai vainement essayé de faire le moins de bruit possible. Cependant, avec plus d'attention, j'ai compris qu'il s'agissait du raclement des branches agitées par le vent contre les volets en plastique. J'ai poussé un soupir tremblant, à moitié amusé et soulagé. Sur la pointe des pieds, sans un bruit, je me suis faufilé vers l'antre de la bête. En passant le seuil, j'ai été accueilli par une forte odeur de sueur rance tandis que les ténèbres oppressantes régnaient en maître. J'étais cloué sur place. J'ai balayé la pièce d'un vif mouvement circulaire du bras, téléphone en main, et sans grande surprise, elle était vide.
Sortant de ma torpeur, j'ai grimpé en quatrième vitesse les deux marches de l'estrade qui me séparaient du bureau branlant. Sans réelle surprise, les affaires du professeur n'étaient plus là. Toutefois perplexe, j'ai froncé les sourcils. Je me suis détourné du meuble, sauté de l'estrade, dirigé sans un bruit vers la fenêtre. J'ai pressé le bouton du volet roulant qui s'est mis en branle dans un vacarme métallique. Deux secondes plus tard, j'ai appuyé sur le même bouton, le volet s'est arrêté dans un dernier grincement. Le silence m'a à nouveau enveloppé. Un rayon argenté s'est déversé sur le sol en vinyle. Avec méfiance, j'ai jeté un coup d'œil au bâtiment en brique. Toujours sans étonnement, la place de parking réservée à Monsieur Donovan était vide. J'ai posé mon front fiévreux contre la paroi humide du verre, m'autorisant à fermer les yeux un instant. Le froid m'a saisi, apaisant la douleur qui martelait ma tête.
La réalité m'a frappé de plein fouet. Mr Donovan n'avait pas disparu. Il était auprès des siens, pendant son long mois de congé annuel. Cela n'expliquait néanmoins pas pourquoi il était parti avec son ordinateur en main, laissant le reste de ses affaires dans son sillage. Et surtout, pourquoi la porte était-elle ouverte quand je suis arrivé ? J'ai eu un drôle de pressentiment, une impression.
Le doute m'a accablé. Motivé par la sensation enivrante d'une expérience inédite, j'ai stupidement suivi les traces d'une fausse enquête que j'ai imaginée de toute pièce. J'ai été piégé par mes propres déductions, mes conclusions trop hâtives. Je suis qu'un imbécile, rien de plus. Je me suis détourné de la fenêtre, me laissant choir le long du crépi usé, à même le sol, tandis qu'un profond désespoir m'a opprimé la cage thoracique. Comment ai-je pu penser un seul instant qu'une telle chose pouvait se produire là, sous mon nez ? J'ai ris, sans doute pour relâcher la pression. J'ai pincé l'arête de mon nez, les coudes posés sur mes genoux remontés contre mon torse. J'ai fixé inlassablement l'écran de mon portable, qui ne s'est pas prier pour s'éteindre. J'ai réprimé de juste l'envie de le projeter à travers la pièce, sous le coup de la colère, ponctué d'un cri de rage.
Enveloppé dans l'obscurité, j'ai violemment rejeté la tête en arrière. Une immense douleur a aussitôt explosé à l'arrière de mon crâne. Mes narines ont frémi de rage, j'ai retenu les larmes qui ont perlées aux coins de mes yeux. J'ai probablement laissé un impact dans le plâtre fragile, pourtant ça m'était égal. Un trou de plus ou de moins passerait facilement inaperçu. Le bâtiment était vieux et usé, il menaçait de s'écrouler à tous moments.
D'une main, je me suis massé l'arrière du crâne. Et relevant lentement les yeux, un faisceau lumineux valsait avec les particules de poussière. Les rouages de mon esprit se sont remis en mouvement, tournant à plein régime. Une chaleur familière s'est logée dans le creux de mon estomac, sa douceur m'a enivré. Ce nouvel espoir était comme une bouffée d'air frais, une renaissance, un nouveau départ. Je me suis levé d'un bon, chassant la douleur lancinante qui m'a vrillé le crâne. Le faisceau spectral s'échappait du projecteur vidéo. Avec la lumière aveuglante de mon téléphone qui illuminait la salle comme un phare en plein jour, il m'était jusqu'alors impossible de le voir. Mes yeux suivirent la direction de la lumière qui s'échouait sur le tableau blanc. Blanc, il l'était. Mon sourire victorieux s'est effacé, le découragement m'a fait prisonnier une fois de plus. J'étais prêt à mettre les voiles, quand soudain, l'écran s'est animé. Un carré noir s'est progressivement dessiné, puis des mots sont à leur tour apparu. Mon sang s'est transformé en glace. Les mots d'un blanc laiteux se sont imprimés en négatif sur ma rétine, de telle façon à ce que je ne puisse les oublier. J'étais pétrifié, la bouche ouverte de stupéfaction. J'ai peiné à assimiler les mots écris blanc sur noir sous mes yeux. Gravés dans ma mémoire et sur ma rétine, les mots tranchaient une à une des strates de mon armure, comme un million de lames aiguisées chauffées à blanc. D'un coup, la gravité de la situation m'a rattrapé, je me suis effondré, incapable de réfléchir, le souffle court. Je ne savais que faire, qui prévenir ? Allait-on me croire ? Devais-je garder ça pour moi ? Je n'en savais rien. Une personne était en danger, mais j'étais impuissant, démuni, seul face à cette supplique, à ce dernier espoir silencieux. Cet appel au secours me collait à la peau, était omniprésent dans ma tête, je ne savais comment m'en débarrasser. « Aidez-moi ».
C'est à peine si je me souvenu de ma fuite, délaissant dans mon sillage cet enfer. Mes pieds m'ont guidé, prenant le relais de mes pensées, déconnectées de la réalité. J'ai avancé aveuglément dans ce labyrinthe de couloirs argentés, esquivant au mieux les meubles qui se dressaient sur mon passage, le regard perdu sur le tableau. Aidez-moi. Aidez-moi, aidez-moi, aid...
L'air frais est entré dans mes poumons en feu. Dans la précipitation, j'ai lâché les clés sur le perron, elles ont glissé avant de disparaître. Je n'ai pas eu le courage de les chercher, même si à cette heure aussi tardive, personne ne risquait d'apercevoir un trouillard qui tentait de prendre la fuite. J'ai laissé des empreintes dans la poudreuse, mais ils annonçaient une nouvelle chute dans la nuit. Le campus était vide à l'exception des étudiants en sécurité dans les dortoirs. J'ai poussé un soupir mélangé de soulagement et d'angoisse. Je n'ai pu m'empêcher de penser qu'un meurtrier se promenait tranquillement sur le campus. Ni une, ni deux, j'ai accéléré, dépassant mes limites. Quelques minutes plus tard, je me suis arrêté le temps d'ouvrir la porte des chambres étudiantes puis j'ai continué de courir. J'ai grimpé les trois étages qui me séparaient de ma chambre en un temps record, sautant les marches de quatre en quatre. Sur le palier du troisième étage, j'ai foncé sur ma droite. J'ai dépassé trois autres portes, puis je suis arrivé devant la mienne. Dans le chaos de mon corps tremblant et hors d'haleine, j'ai fait tomber mon trousseau. Quelqu'un a râlé, j'ai bredouillé des excuses. Après avoir ramassé l'objet, je l'ai inséré dans la serrure. Le verrou n'a montré aucune résistance et je me suis glissé dans la pénombre de ma chambre, où je me suis jeté sous les draps après avoir fermé à double tour.

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Fire King - Tome 1 : The Red Dawn.
ParanormalQue feriez-vous si vous découvriez la vérité sur vos origines bâties sur des mensonges, sur un monde en proie aux Ténèbres et aux Ombres qui vous menacent à chaque instant ou que vous deviez anéantir le Mal ? Tel est le destin d'Hélio, enchaîné à un...