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    « C'est à nous » murmura ma conscience dans un coin de ma boîte crânienne, « évitons de tout faire foirer », voulais-je dire à Aaron qui partageait les mêmes inquiétudes que moi. Bon nombre de regards étaient braqués sur nous, nous mettant mal à l'aise d'être ainsi scruté le temps qu'une réponse ne se forme dans nos bouches, que nos langues se délient de nos palais secs, que des mots franchissent la barrière de nos lèvres. Mes épaules me faisaient souffrir tant j'étais crispé car j'avais l'étrange impression que nous étions en train de jouer nos avenirs comme l'on joue de l'argent au poker. Si nous rations ce test, les conséquences n'en seraient que trop désastreuses.
    Je soupirais bruyamment, refoulant le stress qui me rongeait l'estomac. Après d'interminables minutes de concertation, nous nous étions mis d'accord sur un diagnostic, que nous pensions le plus proche possible de la vérité.
— Pouvons-nous vous appelez par votre nom ? demanda Aaron, un trémolo dû à l'anxiété dans la voix, toutefois vibrante d'une bien étrange rage.
    La jeune femme hocha la tête. Ses longs cheveux flamboyants ondulèrent dans son dos, au gré du balancier de sa tête. Ses yeux embrassèrent la salle avant de s'échouer sur le bout de ses chaussures. Sans un mot, elle se mura dans un silence à faire froid dans le dos. Haussant un sourcil perplexe, je lançais un coup d'œil à Aaron la dévisageait sans ménagement, une lueur démente allumée dans ses prunelles d'acier. Que pouvait-il bien penser en regardant cette fille ? Lui plaisait-elle ? Je n'étais pas capable de répondre à ces questions. La puissante voix de baryton du professeur me tira brutalement de mes pensées ;
— Le temps presse, jeunes gens. Avez-vous quelque chose à nous proposer ?
— Pour évaluer correctement le cas de cette patiente, il faudrait évidement lui poser des questions précises. Comme nous manquons de temps, ce qui est parfois le cas lors d'une arrivée aux urgences d'un patient dans un état critique, c'est au médecin de poser son diagnostic. La faiblesse dans les jambes, la peau pâle peuvent s'expliquer par une carence en fer, ce qui provoque les tremblements dans les membres inférieurs, ou de vitamines et d'un manque important de lumière, celle du soleil, qui participe à la fixation de la vitamine D sur les os, commença Aaron, plus déterminé que jamais, la tête haute.
— La perte de mémoire est liée à un manque de nourriture et d'eau très conséquent. Les apports journaliers ne sont pas respectés. Cela provoque ainsi des maux de tête très violents et une fatigue généralisée, poursuivis-je en peu moins confiant que mon ami. 
    Nous marquâmes une pause, faisant grimper le suspense d'un cran. A présent, tous les regards étaient braqués sur nous sauf celui de la première intéressée. J'aurais juré qu'elle fuyait délibérément nos regards ou était-ce simplement une machination de mon esprit ? Une fois encore, Aaron se racla la gorge avant de se lancer ;
— Vos yeux rouges et sensibles peuvent être la conséquence d'une allergie ou d'une conjonctivite, continua-t-il précipitamment.
— Est-ce tout, Messieurs ? nous questionna Mr. Donovan.
— Pas tout à fait, Monsieur. Peut-être serait-il judicieux d'effectuer des examens comme un scanner ou une IRM et des prises de sang pour écarter la piste d'une éventuelle tumeur ou d'un cancer ce qui pourrait expliquer et généraliser tous ces symptômes.
    La salle s'enfonça dans un silence relativement salvateur. Les étudiants faisaient le point sur ce qu'ils n'avaient pas remarqué : une chose conséquente, dévastatrice portant le nom de tumeur ou de cancer. Des mots très bien appropriés.
— Votre diagnostic était construit d'une façon tout à fait correcte, vous avez expliqué les conséquences, proposez d'éventuels moyens de dépistage et tout ça dans les temps impartis. De plus, il s'avère que vous aviez raison au sujet de la tumeur. Un A me semble assez judicieux, beau travail. Pour le reste, nous nous retrouvons en février. Bonnes fêtes à tous et bon courage pour vos concours.
    Fière de notre travail, nous nous donnâmes une courte accolade puis nous échangeâmes des sourires béats. Je n'avais jamais vu les yeux d'Aaron aussi brillants de fierté, il était heureux de s'en être tiré aussi facilement. Cependant, ce n'était pas étonnant. Aaron était l'un des meilleurs étudiants de notre propos. Il était intelligent et perspicace. Toutefois, je partageais son sentiment de triomphe. Interrompant nos échanges animés, les haut-parleurs crachèrent leur infernale sonnerie, intimant aux étudiants l'ordre de se ruer vers la liberté. Aaron rangea ses affaires en vitesse, me donna une dernière poignée de main, puis se dirigea vers la sortie où ses cheveux de jais se noyèrent dans la foule. Mr. Donovan avait, à l'instar d'Aaron, quitté les lieux. Même notre mystérieuse patiente s'était envolée sans demander son reste. Mais pour une raison que j'ignorais, je ne parvenais pas à m'ôter cette fille aux cheveux roux de la tête. Son aura me hantait, me suivait même lorsque je dévalais la dernière marche, prêt à m'échapper de cette ambiance poisseuse, cependant qu'un détail attirait mon attention. Approchant du bureau du professeur, je remarquais que ses affaires traînaient encore sur le meuble ; des feuilles, des classeurs, une trousse, mais pas son ordinateur portable. Même son long manteau noir reposait mollement sur le dossier de la chaise, comme s'il était simplement parti chercher des documents. Je me détournais, épuisé, mais un vif reflet argenté m'agressa la rétine. Je faisais volte-face, avançant d'une dizaine de pas pour me retrouver le nez écrasé contre la fenêtre embuée. D'un rapidement coup de manche, j'essuyais la buée qui m'obstruait la vue.
      A l'angle du bâtiment en brique de la bibliothèque, j'aperçus deux silhouettes se dresser l'une contre l'autre. La plus petite brandissait un objet au-dessus de sa tête. C'était une arme. Une arme dont la lame métallique brillait sous les rayons de lune. Sans perdre une seconde, je me précipitais dans le couloir, bousculant sur mon passage des étudiants agacés. Après un brusque virage à gauche, puis un autre à droite, je déboulais en trombes dans le hall principal. Je fonçais vers la double porte à vive allure, tel un marathonien en tête de course. Je laissais dans mon sillage des visages interloqués aux sourcils froncés, des murmures, des soupirs indignés. Et rapidement, le bâtiment se retrouva dans mon dos. J'étais essoufflé, trempé de sueur malgré le froid mordant, mais qu'importait, je devais empêcher cette personne d'abattre sa victime de sang-froid. Focalisé sur mon objectif, je n'avais pas pris le temps de mettre au point tous les détails de mon plan, de noter tous les obstacles qui se dressaient sur mon passage : comment allais-je faire pour contrer les coups et déposséder le meurtrier de cette terrifiante arme ? Je n'en avais aucunes sortes d'idées. Mais je n'avais pas eu le besoin de connaître les réponses, car au bout de l'allée, à l'angle de la bibliothèque, il n'y avait que les branches agitées par la brise. J'étais mortifié. Je jetais désespérément des coups d'œil, mais de toute évidence, j'étais arrivé trop tard. Pas une goutte de sang, pas une trace de lutte, pas un seul indice, comme si j'avais été frappé d'une hallucination visuelle, une macabre machination de mon esprit. Seul le mugissement du vent glacial faisait échos à mes pensées chaotiques.

Fire King - Tome 1 : The Red Dawn.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant