Premier tableau : l'imagination a de beaux jours devant elle

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Le ciel est bas et gris, comme un ventre de baleine. Il pleut des fanons. Les nuages sont des déchirures dont on aimerait qu'ils laissent percevoir du bleu. L'homme rentre chez lui. Son regard court un peu partout, à la recherche de quelque chose de beau. Mais rien ne se profile – rien jusqu'à ce qu'un bonnet de laine attire son attention. Sa propriétaire a des traits juvéniles. Des cheveux bruns, longs jusqu'à ses épaules. Ses joues roses laissent croire à des suffusions de timidité. On les sent froides, comme si une fine pellicule de neige les recouvrait.

Elle attend son bus. La ligne 2 arrive. Elle monte dedans – et disparaît à tout jamais. L'homme sent que le vent se met à souffler dans son dos. Il a un peu froid. Alors, pour se réchauffer, il se promet de revoir la fille. Il rentre enfin, marchant, main dans les poches, perdu dans ses pensées qui toutes convergent vers la problématique de la séduction. Pendant que le bus ligne 2 entame son habituel détour, l'homme se dirige vers l'arrêt qui fait face à la clinique. Il attend qu'elle revienne.

Les yeux dans le vague, il compte les fanons qui tombent du ciel, eux qui ne font qu'obéir à la gravité, eux qui n'ont pas le choix, qui n'ont pas l'embarras de décider. Et qui meurent prématurément sur le sol mouillé – qu'une voiture vient de traverser.

Le bus s'amarre à son arrêt et, déverse quelques passagers, avant de laisser l'homme entrer. Elle est là, elle aussi, parmi les autres qui se tiennent comme ils peuvent dans la masse compacte. On converse avec lui, il en profite – il faut qu'il se fasse remarquer, qu'elle le voit, lui, resplendissant par son esprit et sa conversation.

Il rentre chez lui, le cœur empli d'un profond désir de créer quelque chose de beau. Il veut cette fille et lui offrir cette histoire. Il souhaite faire de l'amour une œuvre d'art réelle.

Le temps passe et il ne la revoit pas. Il se contente de rêver. Il s'égare du côté d'une autre, la déshabille puis, suspendu à son apathie, il finira par rompre. Les jours et les semaines se traînent, s'agglutinent les uns derrières les autres. L'ennui prend goût de songe alors, il imagine...

Il voudrait l'emmener en Islande, à cause d'une chanson qui l'hypnotise.

Il se figure une forêt enneigée, comme dans un clip qu'il a longuement regardé par le passé – et ils marchent main dans la main entre les arbres blancs, dans le silence hivernal. Cette image reste gravée dans son esprit car en réalité, ce n'est pas la première fois qu'elle vient lui chatouiller le cœur. Il y eut une fois une autre fille. Brune, comme cette fille. S'il ne sut pas, à l'époque, retenir son attention, il plongea toutefois sans réfléchir dans le tourbillon aveuglant de l'amour-passion. Vous savez, celui qui perdure d'autant plus que l'autre ne vous aime pas. Il aimait à créer des boisés gelés où, en rêve, elle et lui marchaient, des heures durant, vers leur fin inéluctable.

Alors, le revoici, maintenant, l'homme en passe de devenir amoureux. Plus il imagine, plus son sentiment s'intensifie – le tison d'autrefois reprend, s'étincelle et, s'enflamme. Il est sans doute trop tard pour reculer. L'homme décide d'attendre patiemment que son chemin recroise celui de la fille.

Les solitairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant