Chapitre 2 - Part 1/2

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Debout devant le grand bâtiment grisâtre, j'inspirai profondément pour me donner du courage. J'allais sûrement pleurer une nouvelle fois, ou peut-être pas. Je ne le savais jamais à l'avance. Cela faisait un peu plus d'un an que je me retrouvais au moins une fois par semaine en ces lieux avec lui, un an que je le retrouvais ici, un an que je devais supporter le fait qu'il ne m'adresse même pas un regard. On pourrait penser qu'en un an, j'avais eu le temps de m'y habituer et c'était peut-être le cas, mais parfois la douleur était trop forte et je craquais. Certains jours les larmes coulaient le long de mes joues en silence tandis que je priais pour qu'il me prenne dans ses bras, tout en sachant parfaitement qu'il n'était même pas capable de s'apercevoir de ma douleur. J'en arrivais même à me demander si ma présence changeait quelque chose à ses yeux ou s'il n'en avait plus rien à faire. Par moment, j'aurais tué pour connaître ses pensées. Aymeric me manquait et même si j'étais pressée de le retrouver, je savais que même à ses côtés, il continuerait de me manquer.

Je montai les cinq marches du perron et ne ralentis pas devant les portes d'une transparence limpide qui s'ouvrirent automatiquement pour me laisser entrer. Je n'hésitai pas, l'hôpital Lariboisière m'était devenu familier. Je passai devant l'hôtesse d'accueil sans problème, elle devait avoir retenu mon visage avec le temps. J'arpentai les longs couloirs immaculés et odorant la maladie d'un pas assuré. Le silence froid de cet endroit était devenu mon quotidien. Arrivée devant la porte de la chambre, les battements de mon cœur accélérèrent. Je réagissais toujours de cette façon avant de voir son visage. Étonnement mon amour déraisonnable pour lui était une chose à laquelle je ne pourrais jamais m'habituer. Après un court instant, j'entrai dans la pièce aussi blanche, propre et javellisée que l'ensemble de l'hôpital. Je m'étais faite à cette odeur d'incertitude et d'angoisse mêlée à la douleur et aux larmes ainsi qu'aux bruits des machines dont j'étais devenue experte.

Sans surprise, je retrouvai Aymeric allongé sur son lit, les yeux clos, dans la même position que celle où on l'avait placé le jour de son arrivée. Les fils branchés à ses bras ne me dérangeaient plus, j'avais été choquée au début, mais avec le temps, j'avais appris à les voir comme le moyen de maintenir l'homme que j'aimais en vie. Et puis, même avec toutes ses perfusions, le choc restait moindre comparé à la première fois que j'étais venue le voir. En effet, il était à l'époque plein d'hématomes violacés et de blessures plus ou moins profondes. Moi aussi, j'en étais recouverte de la tête aux pieds, mais ça avait était plus traumatisant de les voir sur son corps inanimé que sur le mien. Aujourd'hui, ces blessures bénignes avaient cicatrisé et j'y trouvais un certain réconfort, espérant que c'était le signe d'une guérison possible.

— Salut amour ! soufflai-je avant de déposer un chaste baiser sur ses lèvres.

Malgré la situation, je prenais plaisir à le revoir. Son visage fin encadré par ses beaux cheveux brun m'avait manqué. Certes, j'aurais voulu retrouver son sublime sourire ou même l'intensité de son regard lorsqu'il me fixait de ses yeux bleu nuit, mais j'étais reconnaissante de ne pas l'avoir perdu définitivement lors de l'accident. Son cœur battait toujours et c'était l'essentiel. C'était devenu ma routine. Chaque semaine, j'attendais que vienne le vendredi soir pour que je puisse sauter dans un train et rejoindre Aymeric. Il était d'ailleurs une des raisons pour laquelle j'avais choisi une université sur Paris alors que j'avais tout un tas d'autres possibilités, je voulais me rapprocher de lui. Mais cela, je ne l'avouerais jamais devant Mia. Elle pensait que je me gâchais la vie, que je perdais mon temps à espérer son réveil. Mais ce qu'elle ne comprenait pas, c'était que pour moi la vie était inimaginable sans lui. Elle ne pouvait pas comprendre et je ne lui demandais même pas d'essayer. Personne ne pouvait se mettre à ma place. Sans Aymeric, je ne vivais pas, je survivais. Et mes visites du vendredi étaient comme une bouffée d'oxygène. Alors, effectivement, je pleurais parfois, me sentant impuissante face au corps inanimé de celui que j'aimais, mais, loin de lui c'était pire. Si je ne revenais pas, j'avais l'impression de l'abandonner et d'accepter que cette situation serait définitive. Pour moi, cela n'était pas une option. Ensemble, nous étions plus forts que tout et nous allions surmonter cette épreuve, j'en étais persuadée.

Allant dans la salle de bains de la chambre pour me rincer le visage, je tentai d'effacer toutes ces mauvaises pensées. Mais il m'était bien difficile d'oublier les nombreuses larmes versées dans cet hôpital. Relevant la tête, j'inspirai profondément en apercevant mon reflet dans le miroir. J'avais bien changé en un an ou peut-être était-ce juste dans ma tête. Mes yeux bleus, autrefois pétillants de joie, étaient aujourd'hui comme recouverts d'un voile gris ne reflétant désormais plus que la mélancolie d'une après-midi pluvieuse. Mes cheveux bruns aux reflets chocolat avaient perdu de leur brillance et de leur longueur. Aymeric avait l'habitude d'y glisser ses doigts, tortillant mes longues mèches brunes en réfléchissant à je ne sais trop quoi. Souvent, il en portait une à son nez, humant mon parfum, avant de me souffler à l'oreille que mon odeur le rendait fou. Un mois après l'accident, je les avais coupés jusqu'au-dessus des épaules, ne supportant plus les souvenirs qu'ils me rappelaient. Depuis, je ne les avais plus laissé repousser, mais les souvenirs étaient toujours bien présents, me rappelant avec force et douleur à quel point je l'aimais. Je remarquais aussi que mon visage s'était affiné, le reste de mon corps aussi d'ailleurs, j'avais maigris depuis la tragédie. Tout me semblait si fade depuis notre dernier dîner, mon appétit en était restreint. Le sourire qui illuminait mon visage avait lui aussi fait ses adieux, réapparaissant quelques fois en présence de ma meilleure amie. Cependant, même s'il était sincère, il n'était plus aussi rayonnant qu'autrefois. J'avais l'impression d'être devenue un ersatz de la Julia que j'étais.

Comme à mon habitude, je m'assis sur une chaise près de son lit et je laissai mes pensées vagabonder. Quand j'aperçus une petite cicatrice sur son bras droit, j'y glissai délicatement mon doigt dans une légère caresse alors que l'accident me revenait douloureusement à l'esprit. Aymeric avait obtenu son permis de conduire depuis quelques semaines et il avait décidé de m'emmener manger dehors pour fêter nos deux ans de relation. J'attendais cette soirée avec impatience, j'avais pris des heures pour me préparer afin d'être la plus belle possible. Je passais un dernier coup de brosse dans ma chevelure brune, qui était si longue à l'époque, et j'étais prête. Me regardant une dernière fois dans le miroir ce soir-là, jamais je n'aurais pu imaginer que ce serait notre dernier dîner ensemble. Très galant, il était venu me chercher devant ma porte et m'avait conduite dans un somptueux restaurant. Lumière tamisée, bougies et roses rouges étaient au rendez-vous. Tout s'était déroulé à merveille et jamais je n'avais été aussi heureuse. Pourtant, la soirée prit une tournure dramatique sur notre trajet de retour. Nous étions sur une petite route peu éclairée qu'Aymeric m'assurait connaître par cœur. J'avais totalement confiance en lui et n'avais donc aucune crainte. À la radio passait la chanson I'm Yours de Jason Mraz, ma préférée, que nous chantions à tue-tête en riant.

— On dansera sur cette chanson le jour de notre mariage, sourit-il.

— Et qui a dit que je voulais t'épouser ? le taquinai-je.

— Mais qui a dit que tu aurais le choix ? rétorqua-t-il sur le même ton.

Je ris légèrement devant sa remarque, laissant finalement un léger silence s'installer. Évidemment, cette discussion n'était qu'humour. J'étais déjà persuadée qu'il était l'homme de ma vie, mais nous étions jeunes, nous étions heureux, nous avions largement le temps de penser à tout cela en temps voulu. Enfin, c'était ce que je croyais. Je ne le quittais pas du regard, détaillant chaque parcelle de son visage avec admiration. Dieu qu'il était beau. Me perdant dans ma contemplation, quelques mots m'échappèrent.

— Je t'aime, tu sais ?

— Je t'aime aussi Julia, souffla-t-il timidement.

J'étais aux anges ! C'était puéril, mais intérieurement, je bouillonnais de bonheur. Les « je t'aime » d'Aymeric se faisaient rare, ce n'était pas une chose qu'il disait à la légère et cela me touchait d'autant plus. J'avais comme l'impression de sentir des vagues de chaleur et de bien-être ruisseler dans mes veines. Mes pieds ne touchaient plus le sol, je me sentais comme sur un petit nuage. Il était mon paradis.

C'était sûrement cet état d'euphorie qui m'avait empêchée de voir ce trente-trois tonnes nous foncer droit dessus...

Reste - Tome 1 (Sous Contrat D'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant