I. Lollia

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Assise contre l'arbre, sur le sol humide, je contemplais la brume qui m'entourait. Plus loin, il n'y avait rien. Tout était blanc... Les feuilles en dessous de ma tête l'étaient aussi. Le brouillard bloquait tout ce qui était devant mes yeux. Je perdais la notion du temps... Mais, en fait, il n'y avait rien à perdre. Ça n'existait pas, « le temps ». C'était une simple invention des êtres humains, comme tant d'autres choses.

Le vent soufflait. Mes longs cheveux formaient des ondes. Mes yeux étaient remplis de larmes. Je me mis à regarder mes orteils... Comment étais-je arrivée ici ? Ah, oui... J'avais presque oublié. À l'époque, quand je me trouvais entourée par tous mes frères, une simple curiosité m'avait détruite :
— Lollia ! S'il te plaît, tu ne vas pas recommencer...
— Allez ! Remplace-moi ! Je veux juste essayer de trouver une histoire pour passer un bon moment.
Ce n'était pas vrai... J'avais insisté :
— Il y a tant de jolis écrits dans ces bibliothèques, je ne peux pas résister à la tentation d'aller les lire ! Prends ma place aujourd'hui aussi, s'il te plaît !
— Mais je ne veux pas ! J'ai aussi des choses à faire, moi ! m'avait-elle répondu.
— Je t'apporterai quelque chose de bon ! Je compte sur toi ! À plus tard !
— LOLLIA !
Je m'étais envolée sans lui répondre.

Une fois arrivée sur terre, je me mettais à la recherche de n'importe quel texte. Tout était dans les écrits. Depuis ma création, on m'avait toujours dit de lire, car toutes mes questions trouveraient des réponses. Même si je ne comprenais pas, les mots dans les parchemins me parlaient... On était supérieurs à toutes les créatures. Plus intelligents, plus sages, plus beaux. Nous avions depuis des siècles été ici, à suivre les ordres de quelqu'un qu'on ne connaissait pas... « Les humains par contre vivaient une courte et misérable vie. Pourquoi devait-on être là à les surveiller, nous, meilleurs et parfaits ? Pourquoi devions-nous nous priver de nos plaisirs et pas ces êtres inférieurs ? » À chaque fois que je pensais ainsi, quelque chose dans mon cœur faisait mal...

Je m'aventurais chaque jour de plus en plus dans ce monde rempli d'histoires et de légendes. Des milliers d'écrits voulaient être lus ! Il y en avait partout, dans toutes les langues, mais je ne trouvais rien. Je lisais et lisais, mais il n'y avait pas de réponse.

J'étais devenue quelqu'un qui connaissait à peu près tout (avoir une vie sans limite de temps était un avantage). Mais ça faisait des années que je n'arrêtais pas de chercher, sans aucun résultat. Chaque jour, c'était le même prétexte que je donnais. Parfois, même, je me voyais obligée de donner n'importe quelle fausse excuse aux supérieurs qui me défiaient du regard, mais ils se fatiguaient à m'écouter et la seule chose qu'ils désiraient, c'était de ne plus me voir, donc ils me laissaient partir, sans trop savoir si ce que je disais avait du sens. Je m'en sortais toujours, même avec les plus sceptiques du ciel, mais les choses commençaient à devenir plus sérieuses. J'avais commencé à être obsédée par la lecture des histoires écrites par ces pauvres mortels... Je pouvais en lire des dizaines le même jour sans oublier mon but.
— Lia, tu continueras à aller sur terre sans en avoir la permission ? Tu auras des ennuis et tu le sais...
— Mais arrête, je ne fais rien de mal...
— Rien de mal ? Tu crois que je ne comprends pas ? Tu ne le sauras jamais ! Il t'arrivera la même chose qu'à Lucifer ! Tu ne le vois pas ?
— Lyn... Arrête.
— Tu es horrible... S'il t'arrive quoi que ce soit, je ne t'aiderai pas.
— Je le sais ! lui répondais-je en riant. Tu vas sûrement m'oublier comme tu l'as fait avec lui.
Elle m'avait regardée avec des yeux furieux et s'en était allée sans dire un mot.
— Je n'aurais pas dû dire ça, m'étais-je dit.

Les jours avaient passé. Un beau midi, je rêvais sous un arbre quand une poire tomba. Je la pris et je me décidai à l'amener à Lyn (comme je le faisais d'habitude, lui amener certains fruits ou sucreries), nous adorions ça ! Je n'avais pas pu voir ma chère sœur depuis le jour de notre dispute.

Dans le ciel, très lentement, je jouissais de la brise que créaient mes ailes... Ce jour fut le dernier. Que s'était-il passé ? Je ne m'en souviens pas trop. Tout s'était produit si vite.
— Mes ailes !
Elles avaient commencé à se décomposer. C'était douloureux. C'était comme si quelqu'un m'arrachait plume par plume. Mon sourire disparut. Je laissai échapper un cri, un cri affreux... Je ne pouvais m'empêcher de penser à des curiosités qui me venaient en tête : « Si je tombais d'ici, serait-ce ma fin ? »
— Tu es bête ? Vole ! Juste un peu plus ! Arrête de penser à n'importe quoi ! Tu es presque arrivée, Lia !
Je n'en pouvais presque plus. J'avais mal. Mes ailes. Je pouvais sentir la douleur que quelqu'un sentait quand on lui arrachait un membre du corps. Je vis, au loin, Lyn horrifiée et quelques autres anges qui la tenaient. J'essayai de résister, de rester en place et de ne pas tomber.
— Lyn, attrape...
Je lançai le fruit et, pendant qu'ils le regardaient sous leur nez, Lyn en profita pour s'échapper. Elle vint instantanément vers moi et me prit les mains :
— Lia ! Pourquoi es-tu aussi lourde ? dit-elle.
Elle ne savait vraiment pas faire des blagues...
— Lâche moi, j'ai mal ! lui criai-je.
— Tu vas tomber si je te lâche !
— Je sens que mes mains vont se détacher de mon corps si tu continues à me tirer comme cela !
Elle me tenait de toutes ses forces... Mais ça ne servait pas à grand-chose. Je percevais mon corps comme une météorite venue de l'espace à la vitesse de la lumière. Les anges attrapèrent à nouveau Lyn. Mes mains glissèrent entre ses mains.
— La poire, elle est délicieuse. Ne les laisse pas la manger à ta place, criai-je avec beaucoup de difficulté.
— LOLLIAAAA !
La seule chose que je sentis fut une sorte de force qui poussait mon corps. C'était comme si je tombais dans un volcan très, très profond. Comme si j'atterrissais au fond de la lave.
J'ouvris les yeux très difficilement. J'étais à terre. Le ciel était le seul à pouvoir me voir. Mon corps... Je pouvais à peine le sentir. Ce coup aurait été mortel pour n'importe quel être vivant. Mais j'étais là. Je perdis peu à peu conscience et finis par m'endormir lentement, profondément.

Les jours passèrent... Parfois, je pensais à Lyn. J'oubliai ce que je cherchais, pendant un temps... Ma mémoire ne fonctionnait pas correctement. Rien n'avait de sens. Les semaines passèrent, puis les mois, et les années... Je restais sur place, peu importait le temps.

Le brouillard se levait parfois après la pluie. Ce jour-là, je me sentais un peu plus triste, chose qui ne m'arrivait pas souvent. Je m'étais demandé, pendant des décennies, « Pourquoi est-ce que j'existe ? » Mais rien, pas de réponse. J'avais froid, mes pieds étaient glacés... Les anges ne sentaient jamais le froid, mais là, ce jour, je le sentais...

Je me mis debout et je commençai à marcher. Je sentais l'humidité du sol épais couvert d'herbes... J'avais de la boue un peu partout sur moi. Sale et misérablement triste, j'étais devenue un simple ange sans ailes, glacé de froid. Condamné à rester sur terre. Privée de voir mes frères. Mes pas étaient lourds. Je ne savais où aller. Mais d'abord, y avait-il une place pour moi, ici ?

Après avoir marché pendant un bon moment, je m'arrêtai, j'étais fatiguée.
— Je suis fatiguée ? Nous, on ne se fatigue pas, cela ne nous arrive jamais !
Les battements de mon cœur étaient très rapides. À mes pieds, il y avait une petite flaque d'eau. Je m'y étais accroupie pour me voir. C'était le reflet d'une petite fille. Mon visage n'avait pas changé malgré toutes les années qui s'étaient écoulées. Mais ma respiration...
— Pourquoi est-ce-que je respire ainsi ? me demandai-je.
— Eh ! Toi ! Pourquoi es-tu dans cet état ?
C'était un homme. Il venait de me parler... Il venait de me parler ! Mais pourquoi ? Les personnes ne pouvaient pourtant pas nous voir !
—Tu es muette ? Et tes parents ? avait-il dit.
« Parents ? pensai-je. Ah, oui... Les parents... Une fille seule, toute sale, sans parents... Il croit que je suis une lamentable vagabonde... » Je me levai et je me mis à marcher sans rien répondre après l'avoir regardé avec désintérêt.
— Eh ! Mais où vas-tu comme ça ? criait-il.
Il me prit par la main et m'emmena avec lui. Je commençai à imaginer pour quelle raison j'étais visible pour lui... Je ne m'attendais pas à ça. Je pensais que je serais condamnée à rester seule comme un esprit sur terre, alors que non, ce n'était pas comme ça. « Dieu aime ses fils, il ne peut pas les punir cruellement... Quoi ? »
— Ah ! Le fait de m'avoir arraché les ailes était déjà horriblement horrible !
— Horrible ? Euh... Ai-ailes ? ... Tu peux parler ? demanda-t-il en souriant.
Il m'avait regardée avec douceur en disant ces trois derniers mots. Il avait l'air comme n'importe quel humain, mais c'était une sensation étrange, je n'avais jamais parlé à un homme de ma vie. Il ne m'avait pas encore lâché la main... Je la lui serrai moi aussi. On continua à marcher et marcher, doucement. C'était agréable... Après n'avoir parlé à personne depuis ces innombrables années, c'était vraiment agréable et merveilleux.

Ángelos |✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant