VII. Ahri

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J'entrai par la porte, un garde de chaque côté. L'un, debout, contemplant ses bottes ; l'autre, embrassant et charmant une beauté. Il lui murmura à l'oreille des mots qui plurent à la jolie demoiselle. Elle mit sa main devant sa bouche délicatement en rougissant. Elle riait sans cesse. Lui, il avait l'air aussi galant que tous les hommes de cette énorme salle. Oh ! Comme j'aurais désiré, moi, danser parmi tous ces couples qui semblaient tant s'aimer ! Ils s'amusaient à tourner et tourner au rythme de la mélodie des instruments à cordes : trois violons, un clavecin et un violoncelle dont la propriétaire regardait le luthiste. Celui-ci lui sourit, elle rougit et continua de faire glisser son archet sur son grand instrument... Ils semblaient amoureux. Tous, dans cette salle, semblaient amoureux...

Une belle fille avec un verre de vin en main se promenait en regardant tout ce qui l'entourait. Elle prononçait quelques mots, parfois... Elle parlait toute seule. Puis, elle sourit et continua de marcher. Elle semblait être une princesse avec ses boucles dorées qui bondissaient en même temps que les volants de sa robe chaque fois qu'elle faisait un pas. Elle s'approchait de moi. J'entendis ses paroles...
— Je n'aurais jamais imaginé qu'un sanctuaire aurait pu se transformer en salle des fêtes. La bibliothèque doit encore être là. Je me demande... J'aimerais bien pouvoir aller vérifier.
Elle continuait de parler et de parler. Elle s'approchait de plus en plus de moi.
— Ce lieu a bien changé, bon Dieu... Et que lui sera-t-il arrivé à la jolie divinité, durant tous ces siècles écoulés ?
À chaque pas qu'elle faisait, mon cœur battait de plus en plus vite...
— Je l'avais presque oubliée, elle ! Je me demande bien ce qu'elle sera devenue... Je ne crois pas qu'elle soit encore là, sinon elle serait déjà apparue.
Je fis un pas en arrière. Tout allait de plus en plus vite.
— « Ce n'est pas en lisant des livres que tu vas le découvrir », blablabla... Maudite !
Je ne savais pas ce qui m'arrivait... Je sentis une secousse, un tremblement.
— Lia, calme-toi... Ce qui m'est arrivé m'est arrivé. Je n'ai pas à l'accuser, elle. Oh ! Que j'aimerais te parler une dernière fois, maintenant que je n'ai plus rien à perdre !
Elle était à deux pas de distance de moi. Mon corps était immobile... Je tenais ma robe en la regardant fixement.
— Où es-tu... ? Où t'es-tu cachée, Ahri ?
« Ahri ? » Pensai-je. Elle était devant moi et... elle me regarda.
— Ahri ? demanda-t-elle.
Elle me regarda, bouche bée. Elle fit un pas en arrière. Moi aussi, tout comme elle, j'étais surprise.
— Ahri, c'est toi... ?
« Moi ? Me parlait-elle à moi ? » pensai-je en me pointant du doigt.
— Oh... moi ?
Elle me regarda. Silence... La musique s'était arrêtée. Un rire résonna dans l'énorme salle. Tous s'étaient arrêtés, pour regarder. La fille se tenait le ventre et riait. Le verre tremblait entre ses doits, le vin aurait pu se renverser à n'importe quel moment. Une nouvelle mélodie commença à faire danser les gens. Ils se mirent tous à aller et revenir dans la salle... La petite princesse s'était calmée. Elle sécha ses larmes en forme de perles qui étaient apparues sur ses yeux à force de rire et laissa un sourire se dessiner sur son visage parsemé de discrètes taches de rousseur.
— Oui, c'est toi ! « Oh... Moi ? » Ha ha ha ! Tu n'as pas changé du tout ! Par contre, ta taille... ça oui... Que t'est-il arrivé ?
— Euh... Je suis désolée... Mais j'ai peur de ne pas me souvenir de vous... répondis-je.
— Ah bon ?
Elle s'était rapprochée de moi et me parcourut du regard des pieds jusqu'à la tête, une ou deux fois... Elle était certaine qu'elle ne se trompait pas de personne... Moi aussi, j'avais l'impression qu'elle me connaissait bien. Moi, j'étais Ahri... Elle ne pouvait pas se tromper puisqu'elle connaissait même mon nom...
— Eh bien ! Ahri... Je ne sais pas ce qui peut t'être arrivé mais, je sais que c'est toi... C'est toi... Ce sont tes longs et fins doigts. Ce sont tes cheveux noirs et lisses. Ce sont tes yeux. C'est toi. C'est certain ! Mais c'est vrai que tu as la même taille que moi, maintenant...
— Oh... Oui...
Elle avait l'air pensif...
— Je pense que tu ne me croiras pas, Ahri. Je crois que tu ne te souviendras pas de moi...
Elle avait le regard déçu, comme si elle avait voulu que je lui manifeste un peu plus d'intérêt.
— Je vais te croire, raconte-moi !
Elle s'étonna et me regarda. Puis, elle sursauta et me prit la main. Je lui souris.

On s'assit sur les dernières marches des escaliers doubles qui menaient je ne savais où... Elle se mit à me raconter une petite histoire, que j'écoutai attentivement sans me laisser distraire. Une mélodie s'acheva, une autre commença. Le temps commençait à s'accélérer, comme si les danses auxquelles nous assistions étaient vues en vitesse rapide. Elle continua à me raconter son histoire et à répondre à toutes mes questions :
— Ah ! Alors moi, je pouvais aussi... voler ?
— Plus que ça ! Tu pouvais apparaître là où tu voulais ! C'est dans ces escaliers, ici même, que je t'avais d'ailleurs rencontrée. J'étais tellement surprise que j'allais perdre toutes mes plumes de peur...
— Et pourquoi as-tu été renvoyée du ciel ? Tu ne pourras plus jamais y aller ?
— Seules les bonnes âmes méritent d'y aller... Moi j'ai perdu ce droit...
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas... J'étais consciente qu'un jour une punition tomberait sur moi. À la fin, c'est moi qui suis tombée, ha ha ha...
— Mais la seule chose que tu voulais, c'était savoir...
— Ha ha ! Le jour où tu m'as répondu, je m'en souviens encore... J'étais tellement fâchée contre toi !
— Oh... Je m'excuse pour ça...
— Mais non, tu n'as pas à t'excuser... Je pense même que c'est peut-être grâce à toi que je suis là maintenant. Je peux faire tout ce que je veux sans devoir inventer des excuses...
— Mais tu ne peux pas voir ta famille...
— Ils sont bien sans moi... Je suis bien sans eux aussi. Ils ne me manquent pas...
— Aucun d'entre eux ne te manque ?
Elle fit un signe de négation de la tête. Ce signe montrait évidemment que c'était un mensonge. Je savais qu'elle mentait... Mais aucun de ses frères n'avait visiblement jamais rien fait pour elle... Donc, pourquoi ferait-elle quoi que ce soit pour pouvoir les revoir ? Je lui fis savoir ce que je pensais imprudemment...

Après le bal, j'allai marcher. Lia m'avait donné son adresse et m'avait dit qu'elle s'était consacrée à la musique. Puisqu'elle était immortelle, elle ne pouvait pas se faire connaître... Elle composait ses mélodies pour elle-même et passait ses journées à lire de nouvelles histoires. Rien de ce qu'elle disait ne me semblait bizarre, simplement parce que ma vie avait aussi toujours été bizarre. J'ai toujours été seule, pas de parents, pas de famille, etc. Je ne connaissais personne, à part les orphelins avec lesquels j'avais grandi. Ils m'avaient toujours traitée de sorcière parce que j'arrivais à comprendre d'un regard ce à quoi une personne pensait. Ses sentiments venaient à moi comme des phrases télépathiques. Mais je pouvais seulement utiliser ce don quand quelqu'un me cachait quelque chose. Je m'étais créé beaucoup de problèmes à cause de ça... J'avais réussi à m'enfuir de cette prison il y avait plus de cinq ans, déjà. J'avais commencé à travailler dans une boutique de robes d'une charmante dame, Madame De Lory, qui m'avait retrouvée morte de faim une nuit froide d'hiver. Je l'adorais, elle. Mais je ne lui avais jamais parlé de mon pouvoir, par peur...

Arrivée à la boutique, je me changeai et allai aider Madame.
— Eh bien ! Ma chère, comment s'est passé le bal ?
— Hum... Bien, je suppose...
— As-tu trouvé ton homme ? Tu sais bien qu'il faudra que tu te maries un jour si tu ne veux pas vivre comme moi le reste de ta vie.
— Ha ha ! Non, Madame, je n'en ai trouvé aucun intéressant !
— Oh... ma pauvre enfant... Tu as vingt-trois ans et tu dis que tu n'en as trouvé « aucun intéressant » sans la moindre préoccupation... Il ne viendra pas vers toi, tu sais, il faut le chercher.
— Oui ! Ha ha ! Mais, Madame, j'ai retrouvé une amie. Elle est tellement jolie.
— Jolie ?
— Ha ha ha ! Oui, non seulement ses cheveux sont dorés, mais ses yeux le sont aussi !
— Oh ! Comment oses-tu, fillette ?
Madame détestait les femmes blondes. J'adorais la taquiner avec ça ! Je ne pus m'arrêter de rire.
— Arrête tout de suite !
— Oui, Madame, ha ha ha !
Elle me regarda, feignant d'être furieuse, puis continua à ordonner les robes.
— Allez, ne vous fâchez pas. C'était une blague, une blague.
Je la câlinai, mais elle me repoussa en faisant la difficile. Elle était comme une mère pour moi. Après cette petite scène, on s'assit sur la terrasse pour prendre un thé, comme on le faisait d'habitude. Le printemps était presque arrivé, je le sentais dans la brise du vent.
— Tu dois avoir froid... Veux-tu rentrer ?
— Non, moi je vais bien. Voulez-vous rentrer ?
Elle fit signe que non. Moi, j'aimais ces après-midi.
— Ça, c'est la vraie vie...
— Oui... répondis-je.
Nous étions assez semblables, elle et moi. Nous aimions le calme et les ambiances agréables. Nous ne pensions qu'au moment présent et non au lendemain. Je n'avais personne d'autre qu'elle dans ma vie, comme elle n'avait personne d'autre que moi dans la sienne. Nous n'avions ni croyances inutiles, ni rêves... Le seul rêve que j'avais pouvait être celui de voyager. Je sentais que toute ma vie je l'avais passée ici, et je déplorais de n'avoir rien connu d'autre que ce peuple presque abandonné.
La lumière rose du soleil reflétée sur les nuages était unique. Je l'adorais, cette vue... C'était comme un tableau gigantesque.
— Ahri, ton amie... Tu pourrais l'amener, un jour...
Qu'avait-elle dit ?
— Je veux dire... Tu n'as jamais parlé d'avoir une amie, si tu en as, tu peux l'inviter et discuter avec elle ici...
— Madame...
— Tu sais... Ça m'a rendue heureuse d'apprendre que tu avais une amie. Elle est la bienvenue chez moi !
— Même si elle est blonde ?
— Même si elle est blonde !
— Ha ha ha ! Oui, d'accord. Je l'inviterai un jour. Merci, Madame !
Elle sourit et continua à boire son thé. Elle avait toujours de bonnes intentions, un cœur si chaleureux... Je ne comprenais pas comment il se faisait qu'elle n'avait pas de famille. Elle aurait été la meilleure mère du monde. Pas comme moi... Quand je pense aux choses cruelles que j'ai pu dire à Lia...

Ángelos |✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant