Printemps
La luxuriante forêt boisée étendait ses grands bras vers l'immensité de la mer, faisant moutonner les ramages d'arbres séculaires le long des pentes arides des monts, tandis que les trilles de quelques oiseaux annonçaient le temps des pluies après la fonte des neiges des hauts sommets. Une légère brise venait par moment caresser les vertes pousses sur leurs branches, taquine, alors que les nuages joueurs, ne laissaient pas toujours les rayons lumineux réchauffer la terre fraîche des précédentes averses. Lovée entre deux souches, bien campée sur sa fine et transparente tige, une jeune pousse, pas plus haute qu'un champignon, dévoilait ses deux premières extensions d'elle-même, tendues vers l'astre solaire qui la contemplait, ému.
– Es-tu réveillée, douce amie ? chuchota le flambeau du jour.
– J... Shh... Foooouu...Un rayon de lumière tressauta à travers la frondaison et les nuages cotonneux, tel un sursaut de rire de l'astre jaune, si haut dans le ciel bleu.
– Bientôt tu pourras parler, repose-toi. Tu es encore frêle et trop fragile, mais cela viendra. J'ai le temps — nous avons le temps.
– Ffffsshhhh....Les pensées du baliveau n'avaient ni racine ni frondaison, mais au moins arrivait-elle à lui répondre, cette année. Alors avec dévouement, son lumineux ami décida d'éclairer et réchauffer cette petite pousse d'arbre tel un père, la dorlotant et la rassurant de ses rayons tels une mère, ou bien encore en s'amusant à la questionner et écouter ses réponses incompréhensibles, en frère joueur.
Il fallut attendre trois autres longues années au soleil solitaire, avant de sentir poindre dans l'esprit particulier de cet arbre, un sursaut d'intelligence germé.
– Arrives-tu enfin à parler, jeune pousse ? demanda-t-il de sa voix douce.
– O... oui. répondit-elle après une hésitation.Un printemps magnifique, baigné de lumière et de la brise compatissante, s'annonçait alors. Les plus grands arbres autour de l'arbrisseau semblaient tous se courber légèrement vers lui, en hommage silencieux. La jolie clairière avait toujours sa vieille souche non loin de la jeune pousse, et son herbe verte s'étalait sur le sol tel un tapis douillet pour les quelques lapins frondeurs, venus jusque là.
– Où suis-je...? Qui suis-je...? s'étonna le chêne de quelques années.
– Douce amie, tu es celle que j'ai protégée de mes rayons depuis ton éclosion en la terre froide et dure de la forêt profonde. Certaines créatures hantent ses taillis, certaines intelligentes, d'autres fort peu. Te souviens-tu de ton ancienne vie ?Le long silence qui suivit fut le témoignage poignant de l'arbrisseau encore étonné de son éveil dans ce monde.
– Dans ce cas, laisse-moi te conter ton extraordinaire épopée, jeune fille pleine de rêves.
– S'il vous plaît, lumineux ami.
– J'ignore où tu naquis, sans doute enfant des bois déjà, tu courrais telle une jeunette décidée à conquérir la terre. Pourtant, j'appris un matin que tu croyais mon aide possible à ton existence noire et sombre : ton enveloppe charnelle était incapable de contempler le monde. Tous les jours, dès que tu fus en âge de parler, tu me priais de t'accorder la vue et tous les jours, j'en étais incapable.La tiédeur de la brise vint caresser les minuscules feuilles tendres du petit arbre silencieux ; elles étaient d'un jaune très pâle.
– Un jour, brisant mon serment, je t'ai murmuré une idée au creux de ton oreille fine. Je t'ai demandé d'abattre un chêne de cette forêt et de l'utiliser pour un rituel très ancien, qui n'était plus connu que de quelques êtres vivants de ce monde. Reconnaissante, tu t'es exécutée... Et bien mal nous en prit.
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Histoires Courtes
Historia CortaDes petits textes, des petites riens, quelques légendes, un feuillet qui traine dans un tiroir... Qu'importe d'où tout cela vient ?! Des Histoires Courtes qui se suffisent à elles-mêmes.