CHAPITRE 2 : L'antiquaire

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Elle n'hésita pas un seul instant. Il ne restait qu'un pauvre soldat maigrichon qui lui servait de garde. Les prêtes affrontaient les dégâts et accueillaient les villageois foudroyés par la peur. Le reste, l'armée autrement dit, tentait de localiser les adversaires et de riposter. Toute personne saine d'esprit enfermée depuis mille ans dans le noir, sous terre, aurait saisi cette chance. En moins de quelques secondes, elle avait retiré sa cagoule et percé la seule couche de protection mise en place et laissée en action par le novice. Pour elle, cette homme ne valait guère mieux qu'une mouche : elle l'ignora et s'enfuit. Il appela, hurla, s'égosilla, en vain.

Elle profita des portes ouvertes à l'intention des rescapés pour sortir de ce bâtiment qui était sa prison depuis plusieurs siècles. Elle passa inaperçue au milieu de cette foule. Pourtant son apparence était loin d'être commune. Elle avait de très longs cheveux noirs qui descendaient jusqu'au sol, ainsi que des yeux en amande d'un vert pur, comme des émeraudes qui effrayaient tous ceux qui la regardaient dans les yeux. Ses cheveux étaient naturellement lisses dont trente centimètres avant l'extrémité, étaient ondulés. Elle n'était pas d'une grande beauté mais plutôt d'une beauté noire et effrayante qui subjuguait toujours et intéressait quiconque la regardait. Elle était de taille convenable pour une jeune fille de quatorze ans, or, quand on connaissait sa situation, cela étonnait toujours de voir que pour quelqu'un de mille six ans, elle était incroyablement jeune. Elle portait une belle robe datant du Moyen Age central qu'elle avait confectionnée de ses propres mains. Elle voletait au gré de ses enjambées qui la portaient toujours plus loin du Sanctuaire. Elle ne regardait jamais derrière elle, son regard se portait uniquement devant elle, regardant toujours vers l'avant, vers un futur, un avenir qui lui avait été enlevé.

Elle courait depuis deux heures sans s'arrêter, elle avait croisé beaucoup de personnes en sens inverse. Ceux qui, bien évidemment étaient les plus pauvres et cherchaient un toit où s'abriter des bombardements. Pas un regard pour eux, pas un regard pour elle. Elle avait l'habitude d'être transparente : toute sa vie elle avait vécu dans la peau d'une jeune fille considérée comme une moins que rien. Sa nouvelle condition n'arrangeait pas les choses ni dans le bon sens ni dans le mauvais, les gens l'ignoraient tout en la haïssant et la craignant. Elle avait depuis longtemps abandonné l'idée de se faire accepter. Pieds nus, elle ne ressentait aucune douleur. Elle avait passé toute son enfance avec tantôt des sabots tantôt sans. Plus rien ne l'étonnait, elle avait tout connu : la chasse aux sorcières, la peste, les rois... Assez pour savoir que son long sommeil avait permis à ce monde de se transformer considérablement. Elle n'en fut pas déçue quand elle pénétra dans la première ville. Elle avait quitté l'air libre en plein Moyen Age pendant la chasse aux sorcières et les bûchers qui flambaient pour retrouver mille ans plus tard, un monde moderne et complètement nouveau.

Elle marcha lentement sur les routes, gardant les yeux ouverts et observant tout ce qui l'entourait. Il y avait du monde, les trottoirs étaient encombrés. Mais ce qui retint le plus son attention fut cet engin longiligne et quelque peu aplati qui contenait à l'intérieur une ou plusieurs personnes. C'était une machine rapide et pour quelqu'un qui n'avait jamais connu les voitures, c'était prodigieux. Son regard était focalisé dans le ciel à trois mètres de haut. Elle l'examinait minutieusement, si bien qu'elle ne prit pas garde à ce qui se passait sur la terre ferme. Ainsi plusieurs piétons en trottinettes motorisées manquèrent de la percuter. Il y eut des klaxons mais rien ne put la décrocher de sa fascination pour ces voitures volantes. Elle suivit l'une d'elles des yeux, longue de quinze mètres de couleur magenta avec six portières comprenant six sièges et un immense coffre. À l'intérieur, il y avait un homme qui conduisait avec des lunettes de soleil, à l'arrière deux enfants qui regardaient en bas, la route qu'ils survolaient. La voiture tourna à un carrefour vers la gauche, elle s'éloignait de l'axe principal et se dirigeait vers l'Est de la ville. Obnubilée par ce qu'elle voyait, elle semblait aimanté, suivant le mouvement de la voiture. Hypnotisée, elle ne fit pas attention où elle allait. Deux mètres plus loin, elle se prit les pieds dans le trottoir et s'étala de tout son long sur une table pliable datant de plusieurs années, qui se déroba sous son poids. Dessus y avaient été entreposés quatre cartons remplis de livres qui finirent par terre, dont certains lui tombèrent sur la tête et le dos. Ahurie, elle ne comprit pas ce qui s'était passé et pour cause, elle resta allongée sur le sol alors que les passants la regardaient en la prenant pour une folle venue d'une contrée lointaine. Ce qui n'était pas complètement faux...

La Démone aux Yeux VertsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant