moderato cantabile

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Par un beau mois de Juin, Harrison était forcé d'apprendre à jouer du piano tandis que les autres enfants s'amusaient sur la plage. D'où il se trouvait, il lui était possible d'entendre le bruit des vagues.

"Veux-tu lire ce qu'il y a d'écrit au-dessus de ta partition?" lui demanda la professeur en posant sa main sur le piano à queue.

"Moderato Cantabile." lit-il distinctement.

Madame Martin, la professeur du jeune garçon, ponctua cette réponse d'un coup de crayon sur le clavier. Habitué à ce genre de comportement venant de la femme, l'enfant resta immobile, la tête tournée vers sa partition.

"Et qu'est-ce que ça veut dire, Moderato Cantabile ?"

"Je ne sais pas."

Anne, la mère du jeune garçon, était assise à trois mètres de là sur une chaise en bois. Elle soupira, connaissant déjà la suite des événements.

"Tu es sûr de ne pas savoir ce que ça veut dire, Moderato Cantabile ?" reprit la professeur en touchant ses tempes. Son chignon était si serré qu'il semblait tirer la peau de son front vers l'arrière.

L'enfant ne répondit pas. Elle poussa alors un cri d'impuissance étouffé, tout en frappant de nouveau le clavier avec son crayon de bois. Pas un cil de l'enfant ne bougea, s'attendant à ce que la professeur agisse de la sorte. Celle-ci se retourna vers sa mère qui observait la scène en silence.

"Madame Desbaresdes, quelle tête vous avez là." dit madame Martin.

Anne Desbaresdes soupira une nouvelle fois et se redressa sur la chaise peu confortable. "À qui le dites-vous." dit-elle en souriant.

L'enfant, immobile, les yeux baissés, fut seul à se souvenir que le soir venait d'éclater. Il en frémit. Harrison n'aimait pas marcher dans la rue quand il faisait noir.

"Je te l'ai dit la dernière fois, je te l'ai dit l'avant-dernière fois, je te l'ai dit cent fois, tu es sûr de ne pas le savoir ?"

L'enfant ne jugea pas bon de répondre. Il ne fallait pas davantage provoquer la pauvre femme. Elle reconsidéra une nouvelle fois l'objet qui était devant elle et sa fureur augmenta.

"Ça recommence." dit tout bas Anne Desbaresdes. Il lui semblait avoir assisté à cette scène une dizaine de fois, au moins.

"Ce qu'il y a," continua la professeur en pesant ses mots, "ce qu'il y a, c'est que tu ne veux pas le dire."

Anne aussi reconsidéra son enfant de ses pieds jusqu'à sa tête blonde mais d'une autre façon que l'autre femme. Un sentiment de fierté gonfla en elle.

"Tu vas le dire tout de suite !" hurla si violemment madame Martin que son chignon se desserra et que quelques mèches se défirent de sa coiffure.

L'enfant ne témoigna aucune surprise. Il ne répondit toujours pas. Alors la dame frappa une troisième fois sur le clavier, mais si fort que le crayon se cassa en deux. Tout à côté des mains de l'enfant. Celles-ci étaient à peine écloses, rondes, presque laiteuses encore. Fermées sur elles-mêmes, elles ne bougèrent pas.

"C'est un enfant difficile." osa dire Anne Desbaresdes, non sans une certaine timidité. Il ne fallait pas qu'on pense qu'elle encourageait un tel comportement venant de son fils.

Harrisson tourna la tête vers cette voix, vers sa mère, vite, le temps de s'assurer de son existence, puis il reprit sa pose d'objet, face à la partition. Ses mains restèrent fermées.

rainy days ー nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant