Paris,
le 16 Juin 1885À ma très chère Katherine,
Il s'est écoulé beaucoup de temps depuis ta dernière visite à Paris et un certain nombre de choses se sont passées.
Suzanne s'est enfin mariée ! Depuis le temps que Walter essayait de trouver un jeune homme bien éduqué qui aurait une rente capable de satisfaire les besoins de notre fille...
C'est donc Georges Du Roy, un journaliste employé par mon mari qu'ici toutes les femmes nomment Bel-Ami, que notre Suzanne a épousé. Je dois avouer que j'ai été très étonnée quand Walter a accepté de lui donner la main de notre fille. Il semblerait qu'il ne soit pas au courant de la réputation de son nouveau gendre ー à moins qu'il ne veuille tout simplement pas en tenir compte, trop heureux de faire entrer un homme de son envergure dans notre famille.
La cérémonie était grandiose. Ma fille portait une longue robe et la tiare que je portais à mon propre mariage, t'en souviens-tu ? Il s'agit de celle avec des reflets bleus. Suzanne était magnifique. Beaucoup de monde est venu assister à la messe et il faisait très beau. Voilà l'avantage de se marier en Juin ! Un grand soleil éclairait l'intérieur de l'église de la Madeleine, projetant les vitraux colorés sur le sol ainsi que sur une partie de l'assemblée. Cela coûte beaucoup d'argent de se marier là-bas mais mon mari souhaitait que notre fille ait un mariage inoubliable ー je pense aussi qu'il voulait impressionner son nouveau gendre, mais surtout les invités qui étaient principalement des mondains, ses collaborateurs accompagnés de leur famille, certains de ses ouvriers et leur femme, et bien entendu les membres de notre famille. Personne ne semblait d'ailleurs être venu pour Bel-Ami; sa famille n'a apparemment pas pu faire le déplacement et il se trouve que ses seuls amis sont les collaborateurs de mon mari.
Cela me fait penser au fait que Bel-Ami ne parle jamais de sa famille. C'est un homme très mystérieux. Il ne faut pas espérer apprendre à le connaître, Georges Du Roy ne vous dira que ce qu'il voudra bien que vous sachiez à son propos. Je me suis rapidement habituée à ce côté de sa personnalité même si je dois t'avouer que je trouve cela parfois très dérangeant.
Je dois aussi te confier que j'ai rencontré Georges Du Roy bien avant que Suzanne ne l'invite à dîner et que mon mari n'approuve leur union. C'était lors d'un bal que donnait l'une de mes amies, la femme de Sir Rodrigue, en l'honneur de l'anniversaire de son plus jeune fils, Harold. Dieu sait que ses fêtes attirent beaucoup de monde tant elle se donne du mal pour que celles-ci soient exceptionnelles, j'avais donc rapidement perdu Walter parmi toute cette foule. C'est alors que je l'ai vu, il était appuyé nonchalamment contre une colonne en marbre blanc qui contrastait avec le tissu foncé de ses vêtements, comme si tout ceci l'ennuyait et qu'il aurait aimé se trouver ailleurs. Je me souviens très bien du moment où nos regards se sont croisés. Ce fut ce moment-là que les sentiments que j'approuve à son égard se sont déployés en moi. Je ne lui avais pas parlé de Walter, il ne savait alors pas que j'étais mariée, que j'étais mère de famille. Mais après tout, je me demande s'il n'était pas au courant et si ce n'est pas pour cela qu'il semblait m'aimer d'autant plus.
Il a appris que j'avais une famille quand il a rencontré Suzanne, puis Walter. Je me souviens m'être sentie honteuse, redoutant qu'il ne dévoile la vérité à mon mari, mais il a joué la comédie et a fait semblant de me rencontrer pour la première fois. Cela s'est passé environ deux semaines avant le mariage. Je ne l'ai plus revu jusqu'à la cérémonie. J'étais persuadée qu'il m'en voulait de ne rien lui avoir dit et j'étais aussi effrayée qu'il cherche à me le faire payer en racontant tout à Susanne. Ou pire, en allant voir son patron, mon mari. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir essayé. Plusieurs fois j'ai cherché un moyen de lui expliquer la situation, avant cela. Chaque fois que nous nous retrouvions, j'espérais pouvoir être capable de tout lui raconter, mais dès que je m'apprêtais à le faire, je ne pouvais m'empêcher de me demander si cela allait gâcher notre relation si spéciale. J'avais peur qu'il ne veuille plus me voir. Je ne pouvais me résoudre à le perdre.
C'est pour cela qu'à la fin de la célébration, quand Bel-Ami et ma fille se sont rendus dans la sacristie et que tout le monde se pressait les uns après les autres dans cette petite pièce étroite afin de féliciter les jeunes mariés, j'ai d'abord été tentée de ne pas m'y rendre. Je redoutais de voir mon gendre. Je redoutais de le voir aux côtés de ma fille bien aimée. Pourtant, je me suis ravisée, me disant que Suzanne me poserait sûrement des questions au sujet de mon absence. J'étais la mère de la mariée après tout, je me devais d'aller la féliciter.
Quand mon tour fût donc venu, je me suis approchée d'eux. Bel-Ami se tenait droit près d'elle. L'air presque impassible, comme lors de ce bal où j'avais eu la joie de faire sa connaissance, il observait avec une pointe de fièreté la foule qui était venue le saluer. Je lui ai tendu ma main en tremblant légèrement à cause de la peur que je ressentais. J'avais peur qu'il refuse de la prendre, étant donné les circonstances et la relation que nous avions entretenue. J'avais peur qu'il m'humilie devant tout ce monde, mes connaissances, ma famille. Jugerait-il cela inapproprié ? Peut-être m'en voulait-il ? Quoi qu'il en fût, sa grande main chaude aux doigts caleux se sont doucement emparés de la mienne pour la serrer. Plantant son regard droit dans mes yeux, il m'y fit lire ce qu'il ressentait à mon égard. Je pu ainsi y voir qu'il m'aimait toujours. Mes lèvres se séparèrent lorsque Bel-Ami m'assura qu'il n'avait parlé à personne de ce qui était arrivé entre nous en hochant légèrement la tête. Le même déferlement d'émotion qui m'avait pris à la gorge lors de notre rencontre monta en moi et j'ai alors su que notre liaison était loin d'être terminée.
Elle ne fait que commencer.
Sans doute est-ce mal de désirer le mari de sa fille, mais c'est plus fort que moi. Cet homme est enivrant. Irrésistible. De plus, le côté interdit de notre relation m'excite. Le risque de se faire prendre est euphorisant et vivifiant. C'est pour ainsi dire revigorant. Je me sens renaître en sa compagnie. Bel-Ami est la personne dont j'avais besoin pour rendre ma vie palpitante...
Ma chère Katherine, j'espère que tu reviendras rapidement à Paris pour que je puisse ainsi te le présenter. Tu verras que je ne mens pas, cet homme a quelque chose de spécial. Je suis d'ailleurs persuadée que tu pensera la même chose que moi à son égard. Toutes les femmes qui croisent son chemin semblent tomber sous son charme. Mais par chance, c'est sous le mien qu'il est tombé !
Avec toute mon affection, je t'embrasse et espère te voir prochainement.
Ta chère amie,
Anne de Marelle
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rainy days ー nouvelles
Kısa HikayeCeci est un recueil de tous les petits textes et nouvelles que j'ai pu écrire pour les cours ou pour moi-même. N'hésitez pas à me donner votre avis sur mes écrits, cela me ferait très plaisir !