Le Lait

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Je fais un premier pas dans la salle plongée dans l'obscurité. J'ai peur.

Hier, j'ai du un peu trop boire ; je ne contrôlais certainement pas mes actions.

Deuxième pas, mal assuré. J'en ai la chair de poule.

Les événements de ma soirée me reviennent par fractions.

Troisième pas, chancelant. L'interrupteur est à l'autre bout de la pièce.

En cherchant dans ma mémoire, je revois mes amis autour d'une table, des verres à la main. Mais je ne me trouve pas. Où étais-je ?

Je continue ma progression, osant à peine respirer. Il règne une odeur répugnante que je ne saurais identifier.

Je me souviens avoir entendu mon téléphone sonner. Qui était-ce ? Soudain, il vole et va s'écraser contre le mur. Je pète un câble.

L'odeur est de plus en plus forte au fur et à mesure que j'avance. Je ne sais pas exactement où je suis, j'ai perdu toute notion de l'espace dans le noir.

J'entends Noé, mon ami, me dire que je dois être trop saoule et qu'il faut que je me calme. Mais rien à faire ; je le frappe.

J'en suis à mon sixième pas, je tremble. La faible lumière provenant de la porte par laquelle je suis entrée me semble loin ... trop loin.

Je me remémore ma bagarre avec deux types du bar que je n'avais jamais vu avant. Puis, je me vois en train de chercher les clefs de ma voiture.

Septième pas. J'en peux plus, je veux faire demi-tour. Mais je résiste, ce n'est plus très loin.

Soudain, je suis dans ma voiture, je roule à contre-sens et bien trop vite jusqu'à une maison. Ce doit être la mienne. Heureusement, je ne rencontre aucune voiture en chemin ; il doit être trop tôt ... ou trop tard. Je ne sais plus.

Avant-dernier pas. Je vois des choses bouger, mais je sais que ce n'est pas possible : il fait noir. C'est la terreur qui s'empare de moi.

Mon mari m'attend sur le porche. Il commence à me hurler dessus en me reprochant manque de responsabilité et mes mensonges. Que lui avais-je dit ? Étais-je réellement une menteuse ? Je sors les clefs de ma poche et fait un geste brusque en sa direction.

Ma main tendue touche le mur. Le contact est froid et me fait sursauter. Je ne veux pas allumer, j'ai trop peur.

Je rentre et me rappelle avoir trouvé mon enfant en train de manger des biscuits en cachette dans la cuisine. Il n'a pas le droit, il le sait. Et il devrait être au lit. Cela me met hors de moi et je le punis – parce que je suis une bonne mère. Ensuite, c'est tout noir, je ne me souviens plus.

Je prend mon courage à deux mains et allume ma lumière. Je me retrouve face au mur où est accrochée la liste de courses. Je me retourne et trouve mon enfant, mon bébé d'amour, sagement endormi par terre, un couteau dans la tête. Et un peu plus loin dort également mon mari, les clefs de la voiture dans le cœur. Soudain, quelque chose me traverse l'esprit. Je sens que c'est important. Je me retourne vers la liste des courses et comprend tout. Je me souviens nettement de ce que j'ai fait : j'ai fait les courses de la semaine et j'ai oublié le lait. C'est embêtant, il va falloir que j'y retourne. Autant y aller maintenant.

Je dépose un baiser sur le front de mon bébé que j'aime :

« Bonne nuit mon ange, dors bien »

Puis je récupère les clefs dans la poitrine de mon chéri – en tirant un peu car elles on du mal à venir – et lui dis :

« Toi aussi mon amour. »

Ils sont mignons tous les deux, ils ont l'air de dormir très profondément, très discrets – c'est à peine si je les entend respirer.

Je monte dans la voiture un peu abîmée et prend la route du supermarché.

En fait, en y réfléchissant bien, je ne me souviens pas avoir bu hier soir. Non, j'étais sobre et entièrement consciente de mes actes. Je n'avais donc aucune excuse pour ce que j'avais fait.

Je n'aurais pas du oublier le lait.

Recueil Tout CourtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant