Chapitre 4

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Eva se réveille en sursaut.

Son père hurle, sa mère ne dit rien. Eva, dans un élan de courage, descend de son lit. Elle prend son doudou, Frankie.

Elle s'avance jusqu'à la porte et l'ouvre discrètement. Quand ses pieds se posent sur le carrelage froid du couloir elle frissonne.

Son père cri toujours. Eva va jusqu'à la rambarde près des escaliers. Elle voit son père, de dos, face à sa maman, qui fait de grand gestes. La violence de celui-ci ne lui fait pas peur. Ce qui l'effraye par dessus tout c'est le regard vide de sa maman. Elle est debout, les bras ballants. Il n'y a aucune expression sur son visage. On pourrait croire qu'elle est déjà morte.

Son père, dans un excès de colère se retourne. Eva se recroqueville par peur qu'il la voit. Mais il n'en fait rien, au lieu de ça, il prend son manteau et sort, en claquant fort la porte.

Eva ne bouge pas pendant un moment. Elle sert très fort ses oreilles pour ne plus rien entendre. Elle ferme très fort ses yeux pour ne rien voir.

Elle voudrait disparaître.

Une main douce se pose sur sur bras. Une autre se met sur son deuxième bras. Eva ouvre doucement les yeux et sa mère dégage les oreilles de sa fille.

Le regard d'Eva transperce le cœur de sa mère. Cela lui fait horriblement mal de faire souffrir sa fille de la sorte mais elle n'a pas le choix. Elle doit partir, elle doit abandonner sa fille pour la protéger. Mais avant ça, elle veut lui transmettre sa passion, celle qui l'a fait tenir toutes ces années.

La mère aide Eva à se lever et lui prend doucement la main. Puis elle l'emmène dans la chambre parentale.

Elle lâche la main de sa fille et se dirige vers le placard qu'elle ouvre. Elle en sort une petite boîte rouge et rectangle. Eva, à la fois fascinée et terrorisée à l'idée que son père puisse revenir, s'approche de sa mère. Celle-ci s'accroupit pour que sa fille découvre le contenu de la boîte.

Eva l'ouvre. Elle observe le contenu pendant quelques minutes. C'est un stylo plume rouge. Il est magnifique. Sans dire un mot, la maman referme la boîte. Puis elle la tend à sa fille.

Eva se souvient de la douleur qu'elle avait ressenti le lendemain quand son père lui avait annoncé la nouvelle.

"Maman est partit."

Il avait brisé le silence qui régnait depuis cette nuit. Il avait rompu le calme de son souvenir.

Eva s'était alors promit de le détester jusqu'au jour où il se taira.

***

Le stylo était tombé à côté de la table de pique nique, quand les trois garçons étaient venu marquer leur territoire à l'intrus. Il avait roulé quand la fille rassemblait ses affaires. Si celui-ci était tombé sur du carrelage, le bruit sourd du métal aurait alerté la fille. Mais il avait fini sa chute sur de la terre. Aucun bruit, comme la nuit où il a été donné.

Le lundi matin, le soleil avait commencé sa course à 6 heure. Ce n'est qu'à 7 heure et demi que les rayons se reflétèrent sur le bout de métal.

Le stylo, caché en dessous de la table, pensait être tranquille. Mais la chaleur du soleil lui rappelait sans cesse que quelqu'un allait le trouver.

C'est bien sur ce qu'il se produit. Une main s'empara de lui. C'était un garçon. Il observa la stylo pendant quelques secondes puis le mit dans sa poche.

Ce garçon était grand, la peau un peu basané et mal aimé. Il avait une haine profonde au fond de lui. Une haine qu'il partageaient avec ses deux frères de galère. Une haine commune à tous les immigrés de deuxième génération.

Il était français, mais ces jurons hurlé en arabe faisait tourner le dos aux "natifs". Il était marocain, mais ces deux mois au bled ne suffisait pas à s'intégrer là bas. Il avait deux nationalités, deux pays dans lesquels il était étrangé.

Il avait arrêté ses études en troisième. Le brevet il ne l'avait pas eu. De toute manière personne ne croyait en lui. Tout le monde ne voyait que sa façade. Oui il faisait des conneries à longueur de journée. Oui il finissait ses phrases par "La Mecque" ou "wallah". Oui il insultait ses profs en arabe. Et oui il s'en battait les couilles des cours de français, de math et de musique.

Il avait réussi à avoir un sur vu vingt de moyenne général. Son bâtard de prof de math avait mît "en progrès" comme appréciation. Seule sa prof d'histoire avait un jour essayé de l'aider. Elle lui avait proposé de faire un CAP de maçonnerie ou de vente. Elle lui disait qu'il pouvait être prit à condition qu'il est son brevet. Le garçon voulait faire le CAP vente, alors de manière discrète, il se mît à travailler ses cours.

Ce n'est pas que ça l'ennuyait, c'est que ça ne lui parlait pas. Lui aurait voulu apprendre des choses de sa culture. Le Fordisme, les guerres mondiales, les accords des verbes, les racines carrées... Il ne comprenait pas l'intérêt de connaître ça. Et surtout, il ne comprenait pas pourquoi cela intéressait les autres. Ne voulant pas être le seul en marge, il foutait le bordel en cours.

L'idée du CAP vente disparut totalement quand sa mère se mît à enchaîner deux boulots. Elle rentrait tard le soir, épuisée, et elle partait tôt le matin. De la journée, le garçon ne la voyait pas. Un jour, il tomba sur une facture avec un montant à payer de quatre chiffres. Le même jour, il avait demandé à sa prof d'histoire si le CAP était payant. Elle lui avait répondu qu'il y aurait quand même des coûts mais que l'Etat pourrait l'aider.

Ce jour-là il stoppa net tous ses efforts. Si il n'avait pas le brevet, il n'ira pas encore une année à l'école. Il arrêterait tout et commencerait à travailler pour aider sa mère.

Il n'eu pas son brevet. Il chercha du travail pendant des mois et des mois, mais sa gueule d'arabe faisait chier. On ne voulait pas embaucher "un voleur". Ou si ce n'était pas ce stéréotype, c'était "mais que vont penser les gens si je t'embauches ? J'ai une certaine clientèle et tu ne correspondrais pas à leur attente." Certes, jamais personne n'avait employé ses mots, mais tout ce disait dans le regard.

En décembre, un gars du quartier lui proposa de dealer. Ça rapporte gros. Le garçon accepta.

Ce n'était que l'affaire de quelques mois, pas plus. C'était pour aider sa mère.

Mais le mélange d'adrénaline et d'interdit le poussa à continuer. Les flics ne pouvaient pas l'arrêter.

Et puis ça l'occupait.

Lui, n'avait jamais touché à ce qu'il vendait. Il savait qu'il n'arriverait pas à s'arrêter. Et qu'il ne pourrait pas payer.

Le garçon avait ramassé le stylo. Le métal était froid sur sa paume qu'il resserra. Froid comme son cœur qui n'espérait plus rien.

Eva Kenesky -Un cœur de pierreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant