Chapitre 4 : La sauvage et l'effacée

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En me voyant sur le seuil de la porte, M. Clark se racle la gorge, signe qu'il est extrêmement nerveux. Je vois ses yeux se remplir de larmes, qu'il tente tant bien que mal de refouler. Il hoche la tête, puis me fait signe d'entrer. Je balaye rapidement la classe des yeux ; je reconnais quelques visages familiers mais pas de Solen en vue. Inconsciemment, je sens un poids se libérer de ma poitrine. Je n'aurais pas à affronter la présence de celle qui me rappellerait constamment la disparition d'Ana.

Quelques personnes se mettent à chuchoter tandis que je me faufile entre les rangées d'élèves, à la quête de la place la plus isolée possible. Manque de chance, celles proches du radiateur sont déjà prises ainsi que celles de derrière. Les joues en feu, je me dirige mécaniquement vers la seule place libre, qui est devant. La classe s'agite, le brouhaha s'accentue . J'aurais mieux fais de ne pas venir. Je sens tous les regards tournés vers moi, et qui me brûlent le dos. Avant l'accident, on me regardait à peine. Maintenant que j'ai trempé dans une histoire morbide, on me juge sans doute plus digne d'intérêt. Dieu que je les déteste tous.

Le prof essaye de faire comme si il n'avait pas été interrompu par l'ex meilleure amie dépressive de l'élève dont la mort avait émue tout le patelin. Pauvre vieux Clark. Je sais qu'il aimait bien Ana, et ça devait probablement être le seul, ce vieux con. Mon amie était une grande gueule qui ne savait pas se taire (elle devait probablement se sentir obliger de compenser sa petite taille par un volume sonore de sa voix dépassant largement les normes recommandées), ce qui lui valait de nombreux reproches auprès des professeurs, sauf à Clark car le pauvre était sourd comme un pot.

«- Qu'ils aillent tous se faire foutre, elle disait à chaque fois, tout en allumant sa clope.

- Si    tu veux vraiment pas te faire virer cette année, tu devrait sérieusement    te calmer ! T'envoies les profs se faire balader comme des    moins que rien bordel !, je répliquais, inquiète. »

Elles soupirait, puis regardait ma moue boudeuse avec attendrissement. Elle savait que jamais je ne supporterais de la voir partir, et de rester seule jusqu'à la fin de ma scolarité. On n'avait pas d'amis, à vrai dire. Au collège, notre isolement était assez mal vu, et très vite nous fûmes rejetés par les castes supérieures et étiquetés comme infréquentables. Mais qu'importe ? On s'en foutait, nous avoir l'une pour l'autre nous suffisait amplement. Il faut dire que nos caractères qui étaient à l'extrême opposée se complétaient parfaitement. Ana gueulait, je chuchotais. Ana pleurait, je la consolait. Ana était amoureuse, je prônai le célibat. Ana se mettait au rock, je m'épris de Wagner, et ainsi de suite. La sauvage et l'effacée. On ne se disputait jamais, sauf... On ne s'est engueulée deux fois. La deuxième, il a fallut que ce soit le dernier jour de sa courte vie.





Au secours Ana.





Il a fallut que ce soit ce jour là.






Les souvenirs reviennent






Le passé n'est jamais le passé ; il est toujours inextricablement relié au présent.

Ma vie en grandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant