Chapitre 6 : Ma douleur

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La première fois que j'ai vu Ana embrasser une fille, ça m'a fait un choc. La pensée que Ana serait attirée par les filles ne m'avait jamais effleuré jusqu'à ce que je la vis un jour à Jackson Park entrain de rouler une pelle à la fille du maire ultra-conservateur de la ville, et accessoirement la plus grande peste que le monde n'est jamais connue. Je passais là un peu par hasard, alors que j'accompagnais mon petit frère au parc. Je me rappelle encore du couinement incessant que faisait sa trottinette pourrie dont la roue arrière était fendue. On était en automne je crois : les feuilles,brunies et racornies par le soleil virevoltaient au gré de la bise,s'amoncelant sur l'herbe tendre. J'étais joyeuse et d'humeur badine. De partout s'élevaient les petits rires familier des enfants. Les gamins se couraient après, éclatant d'un rire libérateur. A cette époque, les voir ne me faisait rien ; je trouvais les petits agaçants et stupides, juste bon à prononcer «papa, maman» et à bien faire caca dans leur petit pot. Aujourd'hui, je les regarde avec jalousie, enviant leur naïveté et leur innocence.

Je crois que finalement, je n'ai jamais été vraiment malheureuse avant ce jour-là. J'étais tout bonnement une fille banale, avec son histoire banale, sa famille banale et sa maison banale. On peut même dire que j'avais une vie heureuse, avant. Plus précisément, avant que je ne sache que Ana, mon Ana, couchait avec une fille, et quelle fille ! Sur le moment, je me rappelle avoir regardé avec curiosité ce couple de jeunes femmes s'embrasser avec autant de passion. L'une d'elle était assise en tailleur sur les genoux de l'autre, son bras épousant sa fine taille et leurs mains étroitement liés. Mon regard remonta doucement vers le haut de leur visage. La première chose qui me surpris fut les cheveux de la première. Épais et sauvages. Couleur noisette et follement bouclés. Ceux de la seconde étaient aux antipodes de cette dernière : lisse, d'un blond presque blancs, longs. Tout cela me paraissait familier... Beaucoup trop familier.

A ce moment précis, j'aurais pu rebrousser le chemin, courir, m'enfuir, faire n'importe quoi qui m'aurait épargner d'apprendre l'implacable vérité qui s'offrait à moi. Mais non. Je me souvins avoir lâché avec douceur la main de mon frère,et m'être enfoncée dans les feuillages suffisamment loin pour que mon regard croise celui d'Ana.

Ma vie en grandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant