La sonnerie retendit, aussi stridente que jamais. Je me précipite hors de la salle avant que le prof n'ait eut le temps d'esquisser le moindre geste pour me retenir. Je sais que les élèves, eux ne viendront pas me déranger.
«Kim, attends ! »
J'ignore le ton désespéré de M.Clark et trace jusqu'aux toilettes avant de m'effondrer, la tête contre le lavabo. Mes larmes et ma morve coulent à flot sur mon visage et mes habits, mais je n'essaye pas de les tarir. Mon portable vibre dans ma poche ; j'ai reçu plusieurs messages de ma mère, visiblement paniquée à l'idée que j'ai pu partir sans dire un mot. La veille de la rentrée, elle était presque autant stressée que moi, s'imaginant probablement que j'irais me jeter sous un train plutôt que d'affronter le lycée après tout ce qui s'est passé (ce qui, je dois l'avouer, était assez tentant). La pauvre. Je sais qu'elle se donne un mal de chien pour m'aider et rétablir notre complicité d'antan mais bon, qu'est ce qu'elle va changer ? On ne peut pas me sortir de là, il est trop tard, bien trop tard. L'enfer est une prison dont on ne ressort pas facilement. Manque de chance, j'y ai pris perpétuité ; une éternité de souffrance, une vie de tourment, un avenir de remords et de regrets.
Je ne prends pas la peine de lire le SMS de maman. Ça ne ferait que me déprimer et franchement, je n'ai pas vraiment besoin de cela.
Je glisse mon vieux Nokia dans ma poche et essaye de sortir discrètement par la porte arrière des toilettes, quand j'entends soudain de petits ricanements s'élever derrière moi. Je reconnaîtrais ce petit rire hautain entre mille. Je me retourne lentement, et croise le regard acéré de Solen. Elle n'a pas changée. Toujours la même beauté glaciale, presque terrifiante. Ses longs cheveux d'un blond très clair, presque blancs, descendent en cascades jusqu'aux creux de ses reins. Sa silhouette fine et élancée, ses bras musclés nous indiquent là que l'on a affaire à une sportive de haut niveau. Ses dents d'un blanc éclatant semblent être taillées dans de la porcelaine, tandis que sa peau, si pâle, nous paraît irréelle tant elle est translucide. Il n'y a que ses yeux qui contrastent avec son physique angélique : des yeux noirs, d'un noir couleur charbon, onyx, brillant d'une lueur sauvage. Le parfait stéréotype de la jolie blonde adulée et jalousée du lycée.
Comment une créature d'apparence si belle peut-elle avoir une âme si sombre, un esprit si malsain ?
Je sens mon cœur lâcher, se tordre, se déchirer en milles petits morceaux. Sa présence m'est insupportable. Solen se tient tranquillement à l'embrasure de la porte, à à peine deux mètres de moi. Nous nous fixons en chien de faïence. Je remarque qu'elle a beaucoup maigri. Derrière elle se tient deux de ses plus fidèles sbires, deux pimbêches dont le nom m'échappe, et qui me fixent avec mépris et curiosité. Je devine leurs pensées tourmentées : c'est donc elle, la meilleure amie d'Ana ? Celle qui a écopé de deux jours de garde à vue ? La fille qui a tenté de mourir ?
Je sens toutes ces questions se bousculer dans leurs sales petites caboches. D'un geste sec, je vois Solen désigner la porte, leur intimant l'ordre de sortir et de nous laisser. Nous nous retrouvons alors enfin seules. On se jauge, on se fixe avec haine. Car oui, elle me hait, je l'emmerde, nous sommes toutes deux maudites. Toutes deux amoureuses. Et complètement folles. Finalement, je suis probablement plus mauvaise qu'elle.
De sa voix glaciale et haut perchée, elle lâche ces quelques mots qui me font l'effet d'une bombe :
«Alors toujours vivante à ce que je vois, Kim. »
Je note le ton légèrement déçu dans sa voix. Elle vient de dire tout haut ce que les gens pensent tout bas : « Pourquoi es-tu vivante Kim? Pourquoi toi, et pas Ana ? Tu te rends compte Kim, que tout est de ta faute ? Tu n'as aucune légitimité. Ana aurait dû être là, et toi, six pieds sous terre. Va, tu ne sers décidément à rien.»
C'en est trop. J'étouffe, il faut que je parte ; je n'étais pas prête pour affronter tout cela. En tout cas, pas sans Ana.
L'énorme sourire triomphant se dessinant sur le visage angélique de Solen est la dernière image que j'emporte avant de m'enfuir à toutes jambes des toilettes.
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Ma vie en grand
General FictionOn lit souvent dans les faits divers, la mort de telle ou telle personne. Parfois, il arrive que ce soit un jeune. Plus rarement, un lycéen. Mais l'article de votre journal s'arrête là, et se limite à éclaircir les conditions de cette mort et à inte...