Il se cogne aux angles des murs et scrute le moindre liseré de lumière sous les multiples portes des archives. Enfin, tout au bout d'un couloir, il aperçoit l'entrée d'un local de service. Une lueur claire et jaunâtre brille sur le seuil. Il pique un dernier sprint, dégaine haletant son revolver. Il ouvre violemment la porte d'un coup de pied. Une chaise placée juste derrière s'écrase contre une étagère métallique. Des produits d'entretien se déversent sur le sol.
Une scène dantesque s'offre à la vue de Ripper.
La première chose qu'il voit est le large et puissant dos de Bullit occupant la quasi-totalité de son champ de vision, tant la pièce est exigu. Puis Bullit se tourne et Ripper découvre alors Mallone et Finney en bras de chemise, dégoulinant de sueur et encadrant une forme sombre sur une chaise, un fantôme d'homme.
Les jambes d'Allistair sont ligotées aux pieds de sa chaise par du fil de fer. Son jean est maintenant sombre et collant. Le genou droit est littéralement réduit à l'état de bouillie. Une balle de gros calibre tirée presque à bout portant a déchiqueté les chairs et pulvérisé les os. Le sang s'épanche régulièrement, s'écoule le long de la jambe agitée de tremblements et disparait dans une grille d'entretien. Le tee shirt déchiré du militaire dégage un torse, couvert d'ecchymoses, qui se soulève et s'abaisse frénétiquement.
Le visage d'Allistair est invisible, dissimulé par une poche en plastique noir qui adhère aux parties saillantes et dessine un masque de souffrance ponctué de petits trous circulaires.
Cette forme humaine émet un son, un bruit effrayant, grave et caverneux. C'est une seule note, comme un jappement monocorde seulement rythmé par des spasmes de respiration. Comme un animal touché à mort.
Bullit se redresse et fait face à Ripper à quelques centimètres seulement du canon de son arme. La sienne repose tranquillement dans son étui. Il met ses pouces dans ceinture et le toise d'un air amusé.
– Ripper, vous me surprenez ! Quel bon vent vous amène ? Vous voulez vous perfectionner en technique d'interrogatoire ?
– Taisez-vous brute épaisse, répond sèchement Ripper en s'écartant de son collègue, la seule chose que vous allez réussir à faire c'est à tous nous faire tuer. Rangez-vous contre le mur avec vos deux acolytes et dépêchez-vous, ordonne-t-il. J'espère qu'il n'est pas trop tard.
Finney et Mallone s'exécutent, surpris de trouver une telle autorité derrière tant de froideur et de timidité. L'apparence de Ripper ne cadre pas non plus avec l'image habituelle qu'ils ont de lui. Transpirant, tentant de retrouver le contrôle de sa respiration, en chemisette et cravate débraillées, Douglas Ripper n'affiche pas la raideur légendaire et la mise impeccable qui font sa réputation.
– Vous aussi, obéissez ! répète-t-il à Bullit.
Celui-ci s'exécute après un temps d'arrêt.
– Vous Finney, prenez l'émetteur de Bullit et contactez immédiatement l'agent MacFerson sur la fréquence d'urgence. Dites-lui où nous nous trouvons et qu'il nous rejoigne le plus rapidement possible.
Finney s'exécute. Il pousse l'émetteur à son maximum et appelle à plusieurs reprises MacFerson. A la deuxième tentative, il répond :
– Finney ? C'est MacFerson qu'est-ce que tu me veux ?
– Je suis avec monsieur Ripper et il te demande de nous rejoindre au troisième sous-sol, au local de service du bloc B. Mission urgente.
Il y a quelques secondes de silence puis le haut-parleur crachote :
– Qu'est ce qui me prouve que c'est pas encore un coup tordu de Bullit ? Passe-moi monsieur Ripper.
Finney tend le talkie-walkie à Ripper qui s'en saisit rapidement.
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72 minutes
Misterio / Suspenso72 minutes. C'est le temps nécessaire pour lire cette nouvelle. C'est aussi le temps qu'il reste à deux inspecteurs rivaux pour trouver l'homme qui menace de faire exploser le centre de Los Angeles. Alors, 72 minutes c'est tout à la fois beaucoup...