À notre arrêt, nous descendîmes du train main dans la main, mentons baissés, traits boursouflés. Ma tête me faisait souffrir d'avoir trop pleuré. Je pensais à toutes ces questions laissées sans réponse. Mais qu'aurais-je dû faire ? Profiter des derniers instants de maman pour lui demander de répondre à mes interrogations ? Je ne regrettais rien.
Je marchais ainsi, sans un mot, aux côtés de mon frère quand soudain un homme paraissant surgir de nulle part, m'arrêta et me fixa de ses prunelles sombres.
— Aline ?
J'eus du mal à soutenir son regard, la lumière aveuglante de la gare ne faisant qu'aggraver mon mal de crâne. Mais non, certaine, je ne le connaissais pas.
— Vous vous trompez de personne, lui aboyai-je avant de reprendre la marche, en tirant Martin par le bras.
— Quelqu'un m'envoie vous aider, continua l'homme derrière nous. Perdre sa maman est quelque chose de difficile, vous ne pouvez pas vous en sortir seuls.
Mon cœur fit un bond. Avais-je bien entendu ? Je me retournai en sa direction et l'observai ahurie. Il portait un pantalon et un long maillot noirs, assortis à son regard perçant. Était-il en deuil lui aussi ? Nous avait-il confondu ?
— On a perdu personne et elle ne s'appelle pas Aline, barrez-vous ! lui aboya mon frère à son tour.
Je ne compris pas ce qui lui prit, mais je le remerciai intérieurement d'avoir coupé court à cette conversation bizarre. L'inconnu détourna alors les yeux, semblant chercher quelqu'un et disparut en un instant.
— Qu'est-ce qu'il voulait ? me demanda Martin tout aussi étonné que moi par la scène. Et comment savait-il ?
— Je ne sais pas... il a dû confondre, avec nos mines de déterrés... mais je t'avoue que la coïncidence est étrange.
C'est vrai que cette coïncidence était étrange. Un frisson me parcourut le corps au souvenir de ce regard glacial posé sur moi. Et ce prénom, Aline, qu'il avait prononcé si calmement... Je l'avais déjà entendu quelque part...
Puis cela me percuta de plein fouet. Ce prénom ! C'était celui de la photo ! Ça ne pouvait pas être une coïncidence. J'essayai instantanément de retrouver cet homme en scrutant la gare.
En vain, il était parti.
En arrivant devant notre porte d'immeuble, je pensais toujours à l'inconnu. Je n'arrivais pas à effacer de mon esprit sa voix, son regard, son parfum. Que savait-il ? Comment connaissait-il ces prénoms ? Était-il mon père ? Toutes sortes de questions stupides voguaient en moi depuis que nous l'avions quitté.
Je pris le courrier machinalement et tombai sur une publicité pour organiser des obsèques dans notre département. Encore ! C'était la cinquième fois en une semaine ! Maman était morte depuis à peine une heure que le monde venait déjà me rappeler à quel point il était cruel.
Je fis valdinguer le prospectus à travers le hall d'entrée. J'aurais mieux fait de ne pas passer par la boite aux lettres ce jour-là. À quoi je pensais ? Que la vie continuait comme s'il ne s'était rien passé ? Je fis tourner la clef dans la serrure, énumérant mentalement toutes les insultes qui me passaient par l'esprit.
Mais une fois entrés dans le salon, tous les souvenirs revinrent et ma rage s'estompa pour laissé place à la nostalgie. Mon regard bloqua sur la pluie tombant derrière la fenêtre. Le ciel était aussi sombre que s'il avait fait nuit. Un orage d'une intensité folle grondait, emportant avec lui les derniers instants de ma mère.
Je vagabondais dans l'appartement, me refusant à vaquer à mes occupations. Tout me paraissait insupportable. Je nageais à travers des nuages chargés de souvenirs, les minutes semblant glisser sur moi. Et bientôt je n'arrivais plus à me rappeler où j'étais la seconde d'avant. Bien que je n'essayais pas vraiment de le savoir.
Puis vint l'heure du dîner, enfin certainement, puisque Julia nous fit à manger. Même si, ni Martin ni moi, n'arrivâmes à avaler quoi que ce soit. Puis elle me fit couler un bain, que je me résolus à prendre, mais cela ne réveilla en moi que cette douleur sourde, cette douleur intérieure qui vous paralyse. Et je coupai court à l'activité pour rejoindre Martin sur le canapé, fixant une télévision éteinte.
Julia essaya de nous remonter le moral. Elle nous dit qu'il fallait penser à autre chose, qu'elle était mieux où elle était et que la vie continuait, bref toutes les conneries qu'on dit quand quelqu'un meurt. Mais je ne lui en voulus pas, elle ne savait pas comment se rendre utile.
Puis finalement vers minuit, je me rappelai que les médecins nous avaient donné des décontractants pour atténuer la douleur, j'en donnai un à Martin et j'en pris trois.
J'aurais voulu mourir maintenant pour ne plus souffrir.
Mais alors que je sombrai dans un semi-coma, me promettant de rester dans ce lit éternellement, une lueur d'espoir me réveilla.
La lettre.
Un dernier souvenir de maman, ses derniers mots, ses derniers conseils... Elle était toujours fourrée dans la poche de mon jean, qui trônait sur le sol de ma chambre.
Groggy par les médicaments, j'arrivai à me lever de mon lit tant bien que mal, en titubant, et allai récupérer l'enveloppe dans sa cachette.
Cela faisait des heures que plus rien n'avait de goût pour moi, mais le souvenir de cette lettre et l'espoir d'y voir écrit les dernières pensées de maman me remirent un peu de baume au cœur. C'était un peu comme si elle n'était pas encore partie, comme un peu de répit avant la véritable fin.
Le bruit du papier qu'on déchire, fit se contracter mon ventre, et lentement je passai mes doigts sur mon prénom écrit de la main de maman.
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L'Origine des Mondes
Science FictionQue feriez-vous si l'on vous révélait le plus grand secret de l'univers ? Lorsque cet homme au regard étrange la poursuit, Eloise, elle, n'a pas d'autre choix que d'y croire. Entrainée dans un voyage mystérieux, elle tente alors de découvrir une vé...