Chapitre 5

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« Ma petite Éloïse,

Je me rappelle la nuit où tu es née, c'était une nuit particulièrement douce. De la fenêtre de ma chambre, je pouvais apercevoir les étoiles scintillantes et la lune semblait t'avoir attendue durant des millions d'années.

Ton père me tenait la main et me disait d'être forte. Je n'avais pas souhaité atténuer la douleur, car je voulais te sentir arriver au monde. Je voulais me rappeler de ce moment dans tous ces détails.

Tu es arrivée dans un grand cri. Non pas le tien, mais le mien. Les sons ne sortirent de ta bouche qu'après plusieurs secondes, qui m'avaient parues interminables. La sage-femme te déposa sur mon sein et je t'ai aimée dès que j'ai vu tes yeux en amandes se fermer, lourds de fatigue.

Tu avais peur et te demandais où l'on t'avait mise et je m'efforçais de te faire comprendre que tu étais désormais en sécurité dans un monde merveilleux, où tu serais heureuse jusqu'à la fin de ta vie.

Malheureusement, je ne le savais pas, mais ce monde merveilleux était sur le point d'entrer à nouveau dans le chaos et bientôt des attentats allaient décimer des dizaines de nos amis.

Les premiers mois de ta vie avaient pourtant été si heureux, ton père et moi nous nous aimions beaucoup, nous étions si joyeux à ton arrivée. Cela faisait déjà plusieurs années que nous étions ensemble et nous nous connaissions depuis notre enfance. Nous t'avions tant attendue.

À tes deux ans, les attentats redoublèrent d'intensité et nos amis moururent par milliers. Ils atteindraient vite notre ville, nous en étions certains et il fallait trouver un moyen de te protéger à tout prix.

Ton père et moi dûmes prendre une décision importante et c'est dans un terrible déchirement, que nous prîmes celle de t'envoyer dans un monde plus sûr, où tu ne risquerais pas ta vie tous les jours et où tu pourrais vivre cachée et heureuse.

Ton père ne pouvait se résoudre à partir. Des responsabilités plus grandes que nos vies lui imputaient. Alors je partis avec toi, mon bébé, pour un long voyage jusqu'ici, jusqu'à cette ville où tu as grandi. Tu avais alors trois ans.

Je promis à ton père de ne jamais révéler jusqu'à son existence, afin que tu vives dans l'ignorance, ce qui te laisserait en vie.

Et puis le temps a passé, les souvenirs également. Nous étions heureuses toutes les deux, tu profitais de la vie sans te poser de questions et je refaisais la mienne.

Jean m'a beaucoup aidé, puis c'est Martin qui a égayé nos journées, mon autre bébé, tout aussi important que le premier et qui lui ne connaissait rien à ce monde dont il ne venait pas. J'ai eu envie, souvent, de reprendre contact avec notre ancienne vie, mais la promesse de ne pas compromettre notre secret prenait le dessus. Je m'y suis tenue jusqu'à ces derniers jours. Me sachant sur le point de partir, j'ai pu parler avec ton père. Après seize ans cela a été un moment assez difficile, mais je l'ai fait pour vous, mes deux amours.

Il est maintenant temps pour toi, mon Éloïse, de découvrir l'endroit d'où tu viens et d'y emmener ton frère. Tu as grandi, le danger est moins important et plus rien ne vous retient ici. Ton père s'occupera bien de vous, il est prévenu de votre arrivée.

Je te demande de me faire confiance ma fille, l'endroit auquel tu dois accéder est un endroit particulier, caché, et il ne faut en parler à personne, les mêmes personnes qu'il y a seize ans peuvent encore agir. Même si leurs effectifs ont énormément réduit, je vais te demander d'être très prudente, je t'en supplie.

Au bord de la forêt, entre la prairie et le sentier où tu ramassais des châtaignes, il y avait ce lieu où je t'interdisais de te rendre lorsque tu étais enfant. Et bien je te demande de t'y rendre maintenant. Je sais que tu ne m'écoutais pas et que tu y trempais les pieds de temps en temps...

Je voudrais que tu me fasses confiance et que tu y plonges complètement. Oublie le froid, oublie la peur et emmènes-y ton frère. Tu y découvriras un tunnel dans lequel il faudra entrer. N'aies pas peur, tu trouveras de l'air frais au bout de quelques instants. Vas-y mon Éloïse, vas-y et ton monde t'ouvrira ses portes.

N'oubliez jamais que je vous aime et que je serai toujours à vos côtés. Je vous regarderai de là-haut et je veux que vous viviez votre vie sans penser que je suis partie. Je veux que vous soyez heureux et que vous vous souveniez seulement des bons moments, c'est ceux-là que je garderai en mémoire au moment du départ.

Je vous aime mes amours.

Maman »


D'un revers de la main je séchai mes larmes et essayai de reprendre mes esprits, assise sur mon lit.

Ce n'était pas possible, ça ne pouvait, en aucun cas, être possible. Cette lettre avait l'air si sincère mais pourtant ce qu'elle racontait n'avait pas de sens. De quel monde parlait-elle ? Et pourquoi voulait-elle que j'y retourne ?

Mes paupières se faisaient de plus en plus lourdes, mais je la relisais encore et encore, essayant de comprendre ce qu'elle racontait. Existait-il véritablement un endroit secret où mon père vivait ? Où l'on pouvait accéder depuis la rivière ? J'avais tant envie d'y croire. Mais ce n'était tout simplement pas possible.

J'essayai d'appeler Julia depuis mon lit, mais aucun son ne sortit de ma bouche. Les antidépresseurs agissaient. Mon esprit vagabonda encore quelques secondes et je m'endormis, l'esprit empli d'interrogations. 

L'Origine des MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant