Chapitre 1 Partie 1

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Trente-neuf jours ! Trente-neuf jours exactement, que cette satanée pluie s'abattait sur Paris. Trente-neuf jours d'un ciel gris et morose, d'orages caniculaires, de peau moite et de buissons qui suintent l'urine de chat. Les Parisiens, et leur patience légendaire, pestaient à longueur de journée et la moindre conversation sur la météo pouvait finir en bagarre. Il y avait les fatalistes, les fanatiques et les complotistes, chacun avait son mot à dire. Même le buraliste du quartier y allait de sa petite phrase. « À mon époque, il faisait froid en février » m'avait-il balancé ce matin-là la mine déconfite.

Mais quels signaux avais-je bien pu lui envoyer, pour qu'il crût bon s'adresser à moi ?


- Encore ? Ça va te tuer toi aussi ! C'est ça que tu veux ?

Assis sous le toit de l'arrêt de bus bondé, Martin me fusillait du regard. Et je me demandai si tous les garçons de onze ans étaient aussi autoritaires avec leur sœur de huit ans leur aînée.

Huit ans quand même.

- La violence comme seule défense, je te félicite Éloïse, ironisa-t-il d'un air dégoûté, alors que je lui soufflais ma fumée au visage.

En tout cas, les garçons de onze ans n'étaient pas tous, aussi arrogant que lui.

Je tirai une autre bouffée, sans prendre la peine de chercher une repartie, et ré-entrepris l'attente insupportable mais silencieuse, de ce bus qui était en retard, comme tous les mercredis. Seuls mes battements de pieds frénétiques contre l'asphalte fumant trahissaient mon impatience, pourtant sur le point d'arriver à son comble. Nous avions déjà parcouru trente minutes d'un train de banlieue vieillissant ‒ qui s'était attardé à chaque station ‒ serrés au milieu d'une foule dégoulinante de sueur ou de pluie. Et nous n'en étions qu'à la moitié du parcours ! Encore cinq minutes et j'explosais. Tant pis pour la bienséance.

Ah ! Enfin ! Il était là !

Je m'emparai de la main de Martin et escaladai la petite marche en lançant un regard assassin au chauffeur négligent. À cause de lui nous allions être en retard pour notre visite hebdomadaire à maman.

Mon frère, par la primeur de l'âge, se dégota une place assise et se plongea aussitôt dans un Science et Vie ; quant à moi, je me faufilai à travers les corps humides pour me réfugier contre une vitre rayée. Puis alors que le bus trottait vers l'hôpital, j'observai des yeux plissés, les automobilistes qui pianotaient sur leur volant, excédés par les embouteillages, ou encore les scooters frappant du pied, les portières des voitures. Comme je les comprenais... D'un souffle en direction de mon front, je dégageai ma frange, collée par la moiteur ambiante. Cette journée allait être pourrie, j'en étais sûre.

Quoiqu'elle l'était déjà en fait.

- Mais c'est pas possible de pousser comme ça ! hurlai-je à une dame âgée, qui tentait de sortir à son arrêt. Par tous les moyens.

Je ne comprendrai jamais pourquoi les vieux viennent nous emmerder aux heures de pointe, ils foutent rien de la journée, pensai-je.

J'étais à deux doigts de le dire tout fort d'ailleurs.

Le bus mit quinze minutes à rejoindre le centre de Paris, puis après autant de marche, nous arrivâmes enfin dans le hall de l'hôpital. Une infirmière aux cheveux décolorés et aux joues cramoisies nous accueillit dans un large sourire. M'efforçant de ne pas respirer par le nez, je fis légèrement plier le coin de ma bouche. C'était tout ce que je pouvais lui donner. Je détestais cette odeur. Il ne devait pourtant pas être si compliqué de diffuser un parfum plus agréable que celui des produits anesthésiants ?

L'Origine des MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant