Chapitre 1

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«Mâcon, 10 novembre 1996

- Joyeux anniversaire. Joyeux anniversaire. Joyeux anniversaire Aïleen, joyeux anniversaire.

Tout le monde se mit à applaudir. Je soufflais mes bougies : j'avais enfin cinq ans. Tout le monde était là : maman, papa, mes cousins, mes cousines, mes oncles, mes tantes. Isabelle était là aussi, avec son fils Antoine. Mais c'était comme la famille. Elles s'étaient rencontrées avec maman lors de notre rentrée en petite section avec Antoine et depuis ce fameux jour elles étaient inséparables. Alain aussi était devenu ami avec papa, mais ils étaient beaucoup moins proches. Ils se côtoyaient lorsqu'ils en avaient l'occasion, mais ça n'allait pas plus loin. Alain n'avait pas pu venir à mon anniversaire, mais je ne lui en voulais pas. Antoine m'avait dit que c'était parce que son papa m'aimait pas, mais je savais qu'il disait ça pour m'énerver donc je ne rentrais pas dans son jeu. Il n'était pas vraiment mon copain, il était assez méchant avec moi. Il me volait mon goûter, il me tirait les cheveux et pour couronner le tout il me surnommait «Aïleen la gamine». Mais devant nos parents il faisait le petit ange, à un tel point que mes parents me disaient de prendre exemple sur lui.

J'ouvrai mes cadeaux, des étoiles dans les yeux. La moitié des cadeaux étaient des barbies, l'autre des livres. Maman me disait que j'étais très intelligente, et qu'elle me verrait bien devenir avocate plus tard. Je n'avais aucune idée de ce que c'était, tout ce que je savais c'est qu'elle avait l'air vraiment fière en me disant ça. C'est pour cela que la plupart des personnes m'offraient des livres : pour que je me cultive afin d'être la meilleure.

Tout le reste de la journée j'avais joué avec les enfants présents. Des jeux puérils, mais des jeux qui me faisaient enfin me sentir comme une enfant. Des jeux non-éducatifs, des jeux «qui ne font que cultiver la bêtise humaine» comme disait ma mère. Oui, je m'en rappelle très bien. C'était l'un des meilleurs moments de toute ma vie. Je me sentais enfin jeune et insouciante.

Le lendemain il y avait école. Comme d'habitude, je devais aller dans ma chambre à dix-neuf heures afin de lire, ou plutôt d'essayer de déchiffrer les quelques lignes du livre de Maupassant que maman m'avait acheté. Je n'avais pas le droit de lire autre chose que les «grands écrivains». Je ne savais pas vraiment lire, mais j'étais déjà plus avancée que les enfants de ma classe. Maman me disait qu'à force de m'exercer je réussirais à lire comme une grande personne. Pour la rendre fière, je le faisais volontiers afin qu'elle puisse se vanter auprès des autres parents qui semblaient ébahis face à mes exploits linguistiques.

Mâcon, 11 novembre 1996

Maman m'avait réveillé à sept heures, comme tous les matins. Et comme tous les matins j'avais trente minutes exactement pour me préparer et quinze minutes pour déjeuner. S'il me restait du temps de libre, je le prenais pour regarder des livres.

À l'école, je rejoignais ma copine Amélia une fois que maman sortait de mon champ de vision. Amélia était une gitane : elle vivait dans une caravane. Maman m'interdisait de lui parler, mais Amélia était ma meilleure copine. Une après-midi, deux semaines auparavant, j'étais allée chez Amélia parce que maman était en retard pour venir me chercher. Quand maman était venue me chercher là-bas, elle avait dit un tas de mots vulgaires à sa famille et avait juré de porter plainte, ce qu'elle n'avait bien évidemment pas fait. J'avais honte. Enfin sur le moment je ne savais pas que c'était de la honte, mais aujourd'hui j'en suis certaine. Amélia était tout de même restée ma copine. Après tout, nous avions le même bourreau : Antoine. Il s'en prenait à elle parce qu'elle ne s'habillait pas comme tout le monde, parce qu'elle était un petit peu en surpoids, tout comme moi. C'était vraiment dur de se dire qu'à un âge si bas, les enfants pouvaient être aussi durs voir plus durs que certains adultes.

Mâcon, 23 janvier 1997

Maman et Isabelle étaient très énervées contre moi. J'avais perdu les pédales, je ne me contrôlais plus. Maman m'avait dit que ce n'était pas un comportement approprié à une fille de mon âge. Elle m'avait prévenu que c'était la dernière fois que j'agissais de la sorte. Isabelle quant-à elle ne parlait pas, mais je voyais dans son regard que ça valait mieux ainsi. L'école avait convoqué maman et Isabelle parce que j'avais coupé les cheveux d'Antoine pendant la récréation. Même si j'étais triste que maman soit fâchée, j'étais tout de même bien contente au fond d'avoir enfin pu avoir ma revanche. 

Martinique, 11 juillet 1997

J'étais partie avec maman en Martinique, sur sa terre natale. Papa n'avait pas voulu venir, il ne s'entendait pas très bien avec la famille de maman. J'avais fait huit heures d'avion pour arriver là-bas. Il y avait eu quelques turbulences, ce qui avait le don de m'amuser. J'avais l'impression d'être dans un manège.

La famille nous attendait à l'aéroport. Encore une fois, les mêmes remarques fusaient «elle a beaucoup grandit la petite», «Catherine, tu devrais faire attention à ce que ta fille mange». Du haut de mes cinq ans, je comprenais là où ils voulaient en venir.

Martinique, 14 juillet 1997

Maman avait refusé que j'aille voir les feux d'artifices. Mais tonton m'avait quand même emmené à Fort-de-France pour les voir. C'était la première fois que j'en voyais, j'étais subjuguée devant tant de beauté. Quand elle avait su ça, maman s'était sauvagement disputée avec tonton, ce qui avait eu pour conséquences de raccourcir notre séjour.

Paris, 17 juillet 1997

C'était Isabelle qui était venue nous chercher à l'aéroport, avec Antoine. Tout le long du trajet, il n'avait fait que m'embêter.

Mâcon, 17 juillet 1997

Maman avait proposé à Isabelle et Antoine de rester dormir car papa n'était pas là. Isabelle ne pouvait pas, mais elle avait laissé Antoine à la maison. Maman lui avait laissé mon lit, tandis que moi je devais dormir sur un matelas par terre «les invités sont rois» m'avait-elle dit. Antoine n'avait pas raté l'occasion de me narguer. Bien sûr, je n'avais pas échappé à ma lecture quotidienne, ce qui donnait une raison de plus à Antoine pour se moquer de moi.»

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