Navarre, Pampelune, 1234.
La mort du roi Sanche VII ébranla tout le royaume. Sans héritier direct, le feu roi eut pour successeur le fils de sa sœur, Blanche de Navarre, et neveu Thibaut IV de Champagne - puis renommé Thibaut Ier de Navarre. Ce nouveau roi - dont la noble était une lointaine cousine par alliance de par son mari - marqua le début d'une nouvelle dynastie régnante pour la Navarre. Toute la haute-sphère était conviée à son couronnement, qui avait lieu à la cathédrale de Pampelune. Ayant eu pour premier désir de feindre d'être indisposée et ainsi éviter le voyage, la jeune femme se laissa finalement convaincre par sa confidente d'y aller - cette dernière y voyant un moyen pour briser la carapace infranchissable de sa maîtresse. Ne voulant pas s'éterniser là-bas elle calcula tout pour que son séjour fût le plus bref possible. La vicomtesse arriva quelques jours avant le couronnement de ce futur roi et lorsque le moment fut venu d'y assister, elle s'était parée de ses plus beaux effets et bijoux. Assis côte à côte les deux conjoints n'échangèrent pas un seul mot, pas même un regard. Leurs coeurs s'étaient tenus éloignés depuis fort longtemps et même cette proximité physique ne permit pas un quelconque rapprochement, sous quelque forme que ce fût. Ils ne se manquaient absolument pas et la fragile cordialité dont ils avaient fait preuve auparavant avait laissé la place à une pure antipathie, qu'ils cachèrent avec brio aux yeux de tous. L'un comme l'autre ne pouvait que ressentir le vide de cet amour révolu mais aucun ne parla pour autant. Le sacre se déroula bien assez rapidement, il était désormais l'heure du banquet pour fêter cela. Madame de Tafalla se retrouva séparée de son mari, disparu elle ne savait où, pour finalement être placée non loin du roi. Ce dernier, comme frappé par la foudre, n'eut d'yeux que pour elle de tout le repas. Il était subjugué par la beauté saisissante de la jeune femme, en qui il voyait un reflet humain de la déesse Vénus. Si personne ne le comprit, elle, elle le remarqua on ne peut mieux et fut très incommodée de voir transparaître dans le regard de son souverain des désirs aussi impies. Au moment des danses, elle contrecarra ses plans - lui qui avait eu pour volonté de la prendre comme partenaire - en se retirant dans ses appartements, apparemment en proie à d'épouvantables maux de tête. Au terme de cette célébration le monarque portait pour la gente dame une inclination aussi violente et surprenante qu'un orage d'été. Le lendemain, tandis qu'elle s'apprêtât à quitter la capitale, elle reçut une missive du roi qui lui demanda, avec douceur, de bien vouloir rester un peu plus longtemps à la cour avec pour argument que la présence d'une personne aussi illustre apporterait énormément de choses aux courtisans. Elle tenta, sans succès, de se défiler mais rien n'y faisait ; le roi la pressait de rester là et, sa sagesse n'ayant pas cessé de croître, elle savait qu'elle ne pouvait refuser brutalement un ordre de son roi.
N'étant pas en mesure de retourner chez elle, la dame s'arrangea comme elle le put pour décliner toute invitation à l'aide de quelques excuses qu'elle élaborât. Persuadée que la cour royale était néfaste et corruptive elle tenta par tous les moyens possibles et imaginables d'éviter de côtoyer sa présence nocive. Pourtant la vicomtesse, plongée dans une solitude de gré, reçut des présents onéreux et des lettres enflammées qui louaient sa beauté et sa grâce de la part du roi, transi de passion pour cette dernière depuis qu'il l'avait aperçue à son couronnement. Il n'obtint aucune réponse à ses lettres et on lui rendit les présents offerts. S'il n'avait pas été aussi en proie aux flammes passionnées le roi se serait courroucé et aurait abandonné la partie pourtant il tint bon et, la retrouvant seule dans les jardins royaux, confronta directement l'objet de sa convoitise. Le monarque lui avoua de vive voix tout l'amour qu'il lui portât et la vicomtesse ne put que le croire tant la sincérité transparaissait au travers de ses deux grands yeux, malheureusement pour lui cela n'était pas réciproque.
« J'entends bien ce que vous me dites Votre Majesté, débuta-t-elle, pourtant je suis dans l'embarras de vous éconduire. Non seulement je ne suis pas en mesure de soutenir le feu que vous me portez mais je suis une femme mariée, à l'un de vos lointains cousins de surcroit !
- Madame, je comprends votre réticence et votre défiance mais c'est pour vous que je suis tombé et il y a bien longtemps que je rêve de votre personne pour que vous ne le sachiez point. Vous devez passer outre votre inquiétude si féminine, nous sommes faits l'un pour l'autre.
- Je suis dans le regret de vous informer qu'aucun commerce n'est possible entre nous, je dois à mon époux une fidélité sans faille », utilisa-t-elle comme dernier recours.
Le souverain eut un rire moqueur en vociférant qu'elle fût sûrement la plus idiote d'entre toutes en agissant de la sorte. Ne comprenant pas où il désira en venir, la noble demanda des éclaircissements et, avec un plaisir malveillant, le roi de Navarre lui annonça que son valeureux époux était venu le matin-même lui demander l'autorisation de légitimer un bâtard récemment né avec la fille d'un baron - autorisation qu'il avait refusée. Ses mots eurent le même effet qu'un couteau plongé en plein cœur. Très outragé de se retrouver ainsi repoussé, le monarque lui annonça avec acidité que sa présence n'était plus requise au bon fonctionnement de la cour, qui finalement se porterait bien mieux sans elle. Un bien maigre soulagement pour la vague d'effroi qui l'envahit au même moment. Si son conjoint venait à légitimer un enfant naturel, il n'aurait plus qu'à la répudier pour épouser la mère de ce dernier - et il aurait ainsi un héritier pour son titre en plus d'une femme qu'il aimât. La douleur de la perte de son propre fils était encore trop présente dans l'esprit de la pauvre femme pour qu'elle ne s'inquiétât plus de son sort ; mais, une chose était sûre, elle prit le chemin du retour vers Tafalla en s'attendant à se retrouver sans le sou du jour au lendemain.
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La vicomtesse de Tafalla
Ficção HistóricaMademoiselle de Cézanne, fille de marquis, se retrouve unie au vicomte de Tafalla pour qui elle porte un amour inconsidéré depuis leur rencontre. Ils vivront tous les deux un bonheur transcendant jusqu'à ce qu'une nouvelle tragique change pour toujo...