L'humaine qui ne savait pas voler

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Ella vivait dans un monde merveilleux. Un monde où les Hommes avaient réussi à atteindre un de leurs rêves les plus fous : voler. Voler comme des oiseaux dans le ciel vaste et infini, voler et sentir le vent glisser contre leurs plumes de toutes les nuances de couleurs possibles. Voler et crier leur joie à s'en casser la voix. Voler pour être libres et rien de plus.

Les Hommes avaient mis des années pour accomplir ce rêve qui leur paraissait impossible. Et pourtant ils l'avaient fait. Chaque être humain présent sur Terre était affublé d'une paire d'ailes, qui se déployaient dès la petite enfance.

Imaginez une seconde. Pouvez-vous, ne serait-ce qu'entrapercevoir, l'image de ces hommes, de ces femmes, de ces vieillards, de ces enfants; qui volent dans le ciel d'un bleu étincelant ? Imaginez-vous, le ballet aérien de ces corps ailés qui dansent au grès du vent, tout comme les anges du Paradis ? Regardez leurs visages épanouis. Aucune trace de tristesse, de jalousie, de douleur ou de haine. Les humains ont lavé leurs esprits de toute pensée négative. Ils ne sont plus que douceur et gentillesse. Et par-dessus tout, ils vivent en harmonie les uns avec les autres.

Mais, malgré cette joie et cette paix qui s'étaient peu à peu installée sur le monde, il restait une personne qui n'était pas heureuse.

Elle s'appelait Ella. Et Ella n'avait pas d'ailes.

Il arrivait que la croissance des ailes prenne plus de temps chez certains enfants. C'était ce que lui avait expliqué sa mère, quand la petite fille était roulée en boule au fond du lit qui lui servait de cocon. Les douces mains de sa mère caressaient avec tendresse ses cheveux aussi sombres que les plumes de Maitre Corbeau, et qu'elle lui chuchotait des paroles rassurantes au creux de son oreille. La petite fille s'était endormie en serrant son lapin en peluche contre elle, le cœur gros. Ella avait beau se dire que tout finirait par arriver un jour, aucune trace d'ailes.

Aucune douleur entre ses omoplates, aucune plume qui ne déchirât sa peau pâle pour montrer le chemin aux autres. Pour qu'enfin elles se déploient dans le cri déchirant d'Ella, dont les larmes auraient coulées sur ses joues, et dont le liquide vermillon qui s'écoulerait de son dos aurait abreuvé le sol. Ça aurait été un cri de douleur. Mais également un cri libérateur, où son mal-être se serait échappé de sa gorge en même temps que sa voix. Ce cri aurait annoncé le début d'une nouvelle vie. Celle où Ella se serait envolée dans le ciel, et où elle aurait rejoint sa famille et ses amis pour entamer une nouvelle danse.

Mais Ella avait seize ans. Et Ella n'avait toujours pas d'ailes.

Comme chaque matin depuis des années déjà, la première chose qu'elle fit en se levant fut de courir jusqu'à la salle de bain. Là, elle ôta le haut de coton blanc qui lui servait de pyjama, et se contorsionna dans tous les sens pour apercevoir son dos. Quand elle y parvint enfin, la déception ne fut que plus grande encore. Sa peau était toujours aussi lisse qu'au premier jour, si ce n'est la présence de griffures qu'Ella s'était elle-même infligées.

Cœur de Plumes [Recueil de nouvelles]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant