En attendant

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23:30

- Bon, qu'est-ce qu'on attend au juste?

Londres de nuit, dans les quartiers mal famés et crades, n'avait rien de cette image royale et classe qu'elle dégageait en temps normal. Les bars accueillaient jusqu'à pas d'heures les ivrognes du coin, les riches bourgeois fumaient l'opium en cachette de leurs femmes, tout en chevauchant les prostituées des brothels. Une représentation péjorative mais néanmoins réaliste de l'époque Victorienne.

En cette nuit de printemps, le vent frais s'engouffrait dans les petites ruelles, et frappait les passants. D'aucuns seraient restés cloîtrés dans les bars ou leurs demeures, pour peu qu'ils en aient une.

Puis il y a avait ces deux jeunes hommes. Assis sur le trottoir humide et sale, les yeux levés vers le ciel noir d'encre, dans la paisible attente qu'il y tombe quelque chose d'extraordinaire. L'un, les cheveux blonds et ébouriffés, fumait une cigarette, son regard brun étant perdu dans le vague. Pantalon déchirée, veste rapiécée, il avait tout l'air de ces jeunes garçons qui vivent dans la rue en volant pour se susenter.

L'autre, grand brun bien peigné, regardait avec autant de lassitude que son camarade, le ciel pourvu d'étoiles. Sa redingote brune était parfaitement repliée sous lui, et ses mains croisées sur ses genoux arboraient une élégante bague en argent. Tout en ce jeune homme respirait le fils du bourgeois distingué, qui venait dans ces quartiers afin de se distraire.

- Alors, qu'attendons-nous William? Répéta le blond à l'attention de son ami.

- Si je le savais je te l'aurais dit bien volontiers, soupira ce dernier.

Pas un n'avait détourné son regard du ciel.

Silence.

- J'ai la douloureuse et désagréable sensation, que rien ne se passera cette nuit non plus, murmura le fumeur.

De la fumée s'échappa de sa bouche entrouverte, pour venir mourir au contact de l'air.

- Rien ne se passera cette nuit. Comme toutes les autres.

23:40

Le blond s'allongea à même le sol, un bras derrière la tête, l'autre toujours accroché au bâtonnet bicolore.

- Tu sais William, j'ai l'impression que plus rien ne va. Que tout s'effondre autour de moi. Que ma vie n'a pas d'importance. Je peux crever au fond d'un caniveau, personne ne viendra pour me porter jusqu'au cimetière.

Le brun tourna la tête vers lui.

- Qu'est-ce qui t'arrive James?

- Je sais pas. Je ne sais rien, c'est ça le pire. C'est assez horrible de se dire que l'on est ignorant face au destin. Alors on attend. Patiemment, douloureusement.

- Tes pensées sont bien tristes ce soir. Si cela peut te consoler, je serai là. Jamais je ne te laisserais chuter.

- Qui te dit que je ne suis pas déjà tombé?

William s'allongea prudemment auprès de son ami. Il observa ce visage d'habitude souriant et moqueur, presque provoquant, se tordre en une expression de tristesse infinie.

- Je suis là, répéta le brun. Je te porterais.

- As-tu les épaules assez solides?

Cœur de Plumes [Recueil de nouvelles]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant