Renaissance

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And it's hey babe, with your guardian eyes so blue,
Hey my baby, don't you know our love is true,
I've been so far from here, Far from your loving arms,
Now I'm back again, and babe it's gonna work out fine.

Extrait de « Supper's Ready » sur l'album Foxtrot de Genesis (1972)

Je naquis sur un lit de gazon couvert de rosée printanière. J'étais nu. Il faisait froid. L'aube naissante laissait entrevoir un ciel bleu profond au travers de gros nuages lourds et menaçants. Tout à coup, l'averse fut sur moi. Trempé, je frissonnai tout en scrutant la semi pénombre à la recherche d'un abri. Soudain, le salut... une cabane. J'espérais secrètement que cet abri de jardin providentiel ne soit pas verrouillé. En trois foulées, j'étais devant la porte. Pas de cadenas ! Je pénétrai dans un endroit noir, mais sec. Á tâtons, je repérai des meubles de jardin. Je m'installai dans un fauteuil en osier. Enroulé dans une vieille couverture déchirée, je ne tardai pas à m'endormir.

Un rai de lumière traversant la vitre de mon refuge me réveilla. Je me levai pour jeter un coup d'œil au dehors. Le soleil était haut dans le ciel. Il avait séché l'herbe. Je sortis de la cabane pour inspecter les environs. J'étais dans un jardin bien entretenu, avec ça et là quelques bosquets et massifs de fleurs. Des arbres fruitiers couverts de bourgeons complétaient ce tableau bucolique. Je pris à nouveau conscience de ma nudité. Près de la maison, je remarquai des cordes à linge sur lesquelles pendaient quelques vêtements. Oserais-je m'approcher pour m'en emparer ? Le vol n'était pas dans mes habitudes. Et pourtant, il le fallait. J'avançai vers la maison, me cachant tant bien que mal derrière tout ce qui était sur mon chemin. Finalement, je me retrouvai nez à nez avec un pantalon légèrement trop long pour moi, mais déjà sec. Il n'était pas question de faire la fine bouche. Je le dépendis et l'enfilai aussitôt. La chemise voisine, bien que sans style, se retrouva prestement sur mon dos. Je terminais de la boutonner quand la maitresse des lieux sortit de la maison pour dépendre son linge. Elle s'arrêta, interloquée. Je ne savais plus quoi faire. Fuir ? Rester ? Me présenter ? Mais qui étais-je ?

Mon nom me revint en mémoire avec une telle force que j'en chancelais. J'étais Werner Ottenmeyer, grand comédien de théâtre et acteur de cinéma mondialement connu. J'avais eu mon heure de gloire dans les sixties. Puis une période de déclin s'en était suivie ; une lente descente aux enfers due à l'abus d'alcool... jusqu'à cette soirée fatidique de 1988 où, devant lire des poèmes contre la guerre dans une ville de banlieue, j'avais annulé. J'étais mort d'une crise cardiaque dans la soirée, à l'âge de soixante-trois ans. Je me souvenais encore de la douleur insupportable au thorax. Je n'avais même pas eu le temps d'appeler les secours. On m'avait retrouvé le lendemain matin, allongé par terre dans ma chambre d'hôtel. Mais que faisais-je nu, et surtout bien vivant, dans le jardin de cette dame ? Je pris le parti de la saluer :

- Guten Tag, lui dis-je avec mon sourire le plus charmeur.
- Werner ? Werner Ottenmeyer ? me demanda-t-elle.
- Erkennen Sie mich ? fis-je étonné.
- Excusez-moi. Je ne comprend pas l'allemand, me répondit-elle, visiblement gênée.

Comme je connaissais assez bien le français, et bien d'autres langues encore, je traduisis :

- Vous me reconnaissez ?
- Oui, mais vous êtes mort depuis plus de vingt ans ! me répondit-elle. Comment est-ce possible ?
- Je n'en ai pas la moindre idée. Puis j'ajoutai : « Veuillez m'excuser pour les vêtements que je vous ai emprunté. Je n'en possédais aucun. Il était inconcevable que je me présente devant vous en tenue d'Adam. »

Elle sourit, me proposa d'entrer et j'acceptai avec plaisir. La maison était cossue, bien aménagée. Je m'y sentis de suite à l'aise. Je racontai à mon hôte comment je m'étais retrouvé au beau milieu de son jardin. Des explications, je n'en avais aucune. Elle me fit remarquer que je n'avais pas changé depuis ma disparition. Comme je souhaitais en juger par moi-même, elle me conduisit dans un vaste hall où trônait un splendide miroir sur pied. Je pus constater qu'elle avait raison. Ma nouvelle vie débutait là où j'avais laissé l'ancienne.

Dans les limbes de l'oubliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant