L'oubli

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Comme je la félicitais et m'apprêtais à lui dévoiler la suite de mon plan, un fou nous dévisagea... Me dévisagea, devrais-je dire. Car c'était bien moi qu'il fixait avec insistance. Je ne sais comment cela se pouvait, mais il était capable de me voir. Nous n'eûmes pas le temps de réfléchir à la situation. Tout se passa très vite. Le déséquilibré, armé d'un couteau qu'il avait dérobé durant le repas, se rua sur moi en hurlant. Tamara me poussa de côté. Elle reçut le couteau en plein coeur. Á ce moment, je ressentis une vive douleur dans la poitrine. Elle irradiait dans le bras gauche. C'était un symptôme que je connaissais bien. J'étais en train de faire un infarctus. La première fois que cela m'étais arrivé, j'en étais mort.

Étant toujours conscient mais souffrant le martyre, j'eus le temps d'apercevoir des infirmières paniquées, courant en tous sens. Quelques infirmiers courageux et costauds ceinturèrent le forcené. Un médecin se précipita au chevet de Tamara qui se vidait de son sang. Je m'écroulai sur le sol à côté d'elle. Tamara eut la force de tendre le bras pour me saisir la main. Elle me sourit, puis ce fut le trou noir.

Je repris conscience pour constater que la douleur oppressante à la poitrine avait totalement disparu. A la place de Tamara, se trouvait une immense mare de sang. La salle de détente était déserte. Mon attention fut attirée par des bruits dans le couloir. Je me redressai sans peine. Je ne songeais plus à mon infarctus. Peu importait comment je m'en était sorti. Seul l'état de santé de Tamara occupait toutes mes pensées. En me dirigeant vers le couloir, je m'aperçut tout de même que la météorite et le sac à dos qui la contenait avaient disparu. Je n'avais pas le temps de partir à leur recherche. Je m'en occuperais plus tard.

En passant la porte, un spectacle apocalyptique s'offrit à ma vue. Les gyrophares d'une ambulance se mêlaient à ceux de plusieurs véhicules de police. Le fou qui avait poignardé Tamara était soigneusement menotté et encadré par deux policiers. Deux autres collègues interrogeaient les infirmières. L'une d'entre elles, visiblement en état de choc, pleurait à chaudes larmes.

J'entrevis la civière sur laquelle reposait Tamara. Je me précipitai auprès d'elle juste au moment où un médecin recouvrait son joli visage d'un drap blanc. J'eus tout juste le temps d'apercevoir un sourire sur ses lèvres. Le fou ne faisait plus attention à moi. Les médicaments qu'on lui avait administré avaient fait leur effet. Je poussai un hurlement de douleur que personne n'entendit. Puis, vinrent les larmes. Tamara était morte. Elle avait donné sa vie pour me sauver. Jamais plus je ne pourrai serrer son corps contre le mien.

Je pleurais toujours, recroquevillé dans un coin du hall d'entrée, quand je pris conscience que tous les services d'urgence remballaient leur matériel. Les policiers avaient emmené le meurtrier de Tamara. L'ambulance était prête à partir pour la morgue. Je suivis le médecin au dehors, profitant de la porte ouverte. Un vent d'automne me fouetta le visage. Je sentis des picotements caractéristiques aux extrémités. Regardant mes mains, je m'aperçus que mes doigts disparaissaient à nouveau. Je fis un effort pour résister à ce phénomène. Mais sans la météorite, et surtout sans Tamara, mon état tangible n'allait pas perdurer bien longtemps.

Comme mon amour n'était plus, je commençais à accepter cette idée. Soudain, le vent se leva. C'est ainsi que je péris, victime d'une bourrasque automnale plus violente que les précédentes, dans un tourbillon de feuilles multicolores. Je sombrai à jamais dans les limbes de l'oubli.

Embourg, le 8 novembre 2010
Kathleen Sheridan

Déposé et protégé par la Société Belge des auteurs, compositeurs et éditeurs (SABAM)

Dans les limbes de l'oubliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant