Chapitre 2

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"Alexandra, tu peux sortir quand même.

- Je n'ai pas envie." Ils savent qu'ils ne peuvent pas me faire changer d'avis, ils savent que ça ne sert à rien de me résonner. Ils savent que je réfléchis, encore et encore, et que je vais décider toute seule. Ils savent que je change d'avis par mes propres moyens, sans l'aide de personne. Ils me connaissent presque mieux que moi-même, alors l'infirmier ferme la porte après m'avoir lancé un sourire compatissant. Mais il ne compatit pas, il n'est pas malade lui. Il ne connaît pas mes sentiments comme je les connais. Il ne connaît rien de tout ça, il connaît simplement les soins, la vie. Comme tous les autres.

Je regarde dehors, la lumière du jour illumine toute la pièce, il n'y a personne dans la petite cour fermée. Parce que personne ne sort, ou alors seulement les infirmiers quand ils partent prendre l'air. Ils disent que ça les touche, et que parfois les émotions sont trop fortes alors ils sortent. Je ne connais pas leurs sentiments. C'est comme ça.

Dans 5 jours c'est Noël, et ça fait 3 jours que je ne suis pas sortie de ma chambre. Alors peut-être qu'ils ont raison, j'ai peut-être besoin de sortir, mais pour moi; pas pour les autres. J'espère ne croiser personne, je n'ai pas envie de parler aujourd'hui. Il y a des jours où c'est comme cela, et d'autres où j'ai envie de voir du monde et de parler pendant des heures avec eux. Il y a même des jours où je joue aux jeux de société avec les gens du centre, les infirmiers aussi des fois s'accordent une pause pour nous. Mais c'est souvent pendant les fêtes d'anniversaires, ou les fêtes de fin d'année. Sinon, ils ne font que travailler.

Je marche dans les couloirs étroits, dans ma chemise de nuit trois fois trop grande pour moi. Je marche jusqu'à l'ascenseur, pour aller dans le hall. C'est le matin et il n'y a généralement personne. L'air est frais, on peut respirer tranquillement. Les gens qui travaillent ici sont en bas, mais ils savent qu'il ne faut pas m'adresser la paroles sauf si je daigne à dire bonjour. Si je ne dis rien, ils savent qu'il faut lâcher l'affaire. Je m'assis sur le banc, tout le monde m'a regardé quand je suis arrivée. Même avec la tête baissée sur mes pieds, je le sais, parce que c'est  le silence long que je connais beaucoup trop. Pourtant ils riaient avant. Mais quand j'entre dans cet état là, ils se taisent, ils se calment.

"Tu fais quoi ?" Je lève la tête vers quelqu'un pour la première fois de la journée. C'est Laura. Je ne réponds pas, je me lève du banc pour m'asseoir autre part sur une chaise.

"Alexandra s'il te plaît ! Ca fait longtemps que je ne t'ai pas vue ! Tu passes ton temps dans ta chambre !

- Et alors ?" Je lui ai lancé un regard froid, avec une voix dans une même intonation. Elle se tait. Elle ne bouge même plus. Je l'aime bien Laura, mais c'est la seule personne qui essaie de me raisonner alors qu'il ne faut pas. Tous les autres le savent, elle aussi, mais elle persiste, et ça m'énerve.

"Et alors ? Ce n'est pas comme ça que tu vas guérir Alex' !

- Laura laisse la s'il te plaît... S'interpose une infirmière, il faut la laisser.

- On n'est pas du même monde." C'est une adolescente ayant eu un accident, elle n'est pas malade, elle s'est faite opéré et ça fait trois mois qu'elle est ici.

"Je suis paralysée mais je sors, je profite. Arrête d'être égoïste.

- Est-ce que tu vas mourir, toi ?

- Non.

- Alors tais toi." Je marche jusqu'à l'ascenseur, j'appuie sur le bouton.

"Mais tu vas peut-être guérir !

- Peut-être. Mais il n'y a pas 100% de chance." les portes s'ouvrent, je me faufile à l'intérieur, en baissant la tête. J'ai fini ma sortie de la journée, et des autres jours je pense. Je n'aime pas ces journées là, parce que je suis très sensible et la moindre petite remarque me rend dans cet état là; encore plus renfermée. Je ne suis déjà pas très ouverte avec mon entourage, alors si quelqu'un décide de m'énerver, c'est encore pire. Je n'explose pas de colère moi, non, je suis froide, je suis dans mon monde où personne ne peut y poser un pied. Je marche lentement, comme une morte, c'est peut-être ce que je suis déjà depuis longtemps, comme mes "amis" le prétendent, je suppose. Finalement, au lieu de regarder par la fenêtre, je décide d'écouter de la musique, d'écouter des personnes qui ne savent aucunement mon existence, écouter une partie de ma vie.

    La porte grince. Je n'y fais pas attention; et pourtant quelqu'un est entré. Je ne veux pas prendre la peine de regarder qui arrive. Je reconnais l'odeur, et les pas lourds sur le sol, je reconnais chaque personne sans poser un regard sur elle.

"Qu'est ce qu'il y a, Laura ?

- Je voulais m'excuser. J'y suis allée un peu fort avec toi, je ne voulais pas. Je peux venir ?" C'est le silence. C'est pesant, c'est moi, ils me connaissent tous, par cœur. C'est l'habitude, une habitude pas très sociale mais une habitude quand même; qui est plutôt mauvaise. Elle s'assit quand même à coté de moi, en déposant ses béquilles au sol.

"Est ce que ça va ?" me demande-t-elle sérieusement.

"Est ce que j'ai une tête à te dire oui ?" répondais-je froidement. Elle soupire, presque d'énervement.

"Les traitements, ce n'est pas trop dur ?" reprend-t-elle.

"Je n'en sais rien. C'est fatiguant. Je ne sais même plus où j'en suis de toute façon." Voilà. C'est toujours la même réponse. Aussitôt arrivée, elle repart. Je soupire moi aussi, parce que j'en ai marre d'être comme ça, je n'arrive pas à changer.

    C'est pourtant cette visite qui m'a fait ouvrir les yeux. Je ne veux pas lui dire, car je dois réfléchir. Quand je la regarde, en tout cas quand je l'ose, elle est jolie. Elle passe plusieurs minutes devant le miroir de la salle de bain, pour se sentir belle malgré son handicap. Quand elle est arrivée ici, elle a fait un discours émouvant. Elle avait dit que ce n'était pas parce que nous sommes dans un centre, handicapé ou malade, qu'on ne peut pas être aimé. Elle a ensuite ajouté qu'il faut profiter de la vie, arrêter de pleurer et continuer le chemin sans s'arrêter; c'est un combat avec sois-même et non avec les autres.

    Je ne l'ai jamais vue ou entendue pleurer Laura. Pendant tout son récit, je m'étais déjà enfuie en larmes. Elle est venue me chercher, et c'est comme ça que nous sommes devenues amies.

Mais ce n'est pas pourtant que j'ose, comme elle, à me regarder dans un miroir. Ca fait plusieurs mois que je ne sais pas à quoi je ressemble.

"Mélodie ?" Je reconnais la voix du petit garçon âgé de 5 ans de moins que moi.

"Théo ?

- Tu veux jouer avec moi ?

- Non.. Pas maintenant.

- Alors.. Tu viens à la soirée ce soir ?

- Pourquoi je viendrais ?

- Ils invitent nos parents." Mes parents ? J'aimerais bien, mais ils travaillent. Je suis déjà venue à ce genre de soirée, et vous savez quoi ? C'est facile pourtant. La réponse c'est qu'ils n'étaient pas là. Je secoue la tête de gauche à droite en signe de réponse.

"Bon alors je vais te laisser." Il referme doucement la porte, et quand j'entends le petit claquement, je soupire.

Les vœux du cancerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant