Robert le chevalier servant

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Je suis assise face à Robert, troublée. Nous nous tenons la main. Quelque chose a changé en lui, et je ne parviens pas à en deviner la raison. Il suit des yeux Nikki qui s'éloigne les mains dans les poches, l'air nonchalant. Je fais de même, mon regard aimanté par la silhouette du jeune homme particulièrement sexy, même dans sa façon de se mouvoir. Je me demande quelle drôle de relation lie ce trio.

Je n'ai pas revu Robert depuis des années. J'avais quinze ans, encore une gamine, quand mon frère de cœur, de cinq ans mon aîné, partit faire ses études de droit à la Sorbonne, pour ne revenir qu'à l'occasion des vacances d'été à la maison familiale des Desforges, ses grands-parents maternels. A ces mêmes périodes, Eléonore et moi, squattions celle d'Abuelita Rodriguez, la super mamie de mon amie.

C'est au cours de ces vacances à Soulac-sur-mer, dans cette maison, hors de mon pensionnat, que je vécus mes plus belles années, que naquit notre amitié indéfectible, entre rires et larmes, disputes et réconciliations. Mes premiers souvenirs de notre amitié, remontent à l'âge de quatre ans. Je me revois avec ma mère, construisant un château de sable et Ludovic, une vraie teigne à l'époque, le saccageant à coups de pieds. Ce fut la première fois que Robert essuya mes larmes. Il en essuierait d'autres par la suite. Au fil des ans, les liens entre nous se renforcèrent. L'amitié entre Ludovic et Elo se mua en amour sans surprise pour chacun d'entre nous. Pour les adultes il semblait évident qu'il en serait de même pour Robert et moi. Et même si ce jeune homme était terriblement sexy, aux dires de toutes mes copines et malgré le ballet incessant des vacancières en émoi, je ne ressentais pour lui qu'une incroyable tendresse teintée d'un sentiment fraternel très fort qui deviendrait indéfectible au cours des ans. L'année de mes quinze ans, lors d'une baignade chahuteuse, pendant les vacances d'été, je l'avais embrassé. Je ne sais ce qui m'était passé par la tête. Nous en étions restés aussi surpris l'un que l'autre et terriblement gênés. Nous oubliâmes cet incident assez vite.

Deux ans plus tard, une bombasse rousse lui mit la tête à l'envers. Ce fut cette année-là que survint « l'incident » avec Jordan dont je m'étais crue amoureuse. Robert lui cassa le nez et Jordan fut interdit de séjour à la Villa Rose. J'étais bouleversée, mais grâce à la patience de Robert, ces dernières vacances communes ne furent cependant pas une catastrophe. Sa relation passionnelle avec la belle rousse dont j'ai oublié le nom, en souffrit car après l'affaire Jordan, Robert me consacra tout son temps. Ludovic et Eléonore follement amoureux, nous délaissèrent souvent pour passer du temps en tête à tête. Cet été là pour me distraire, Robert m'initia au surf et je ne peux m'empêcher de songer à lui à chaque fois que je croise un surfer sur la plage. S'il est particulièrement doué, je reste, quant à moi, une bien piètre surfeuse, malgré tous mes efforts.

Après son départ pour la capitale, nous nous vîmes plus rarement, pris par ses études et ses amis parisiens, cependant, jamais nous ne rompîmes le contact. Il fut mon cavalier et bien évidemment, le témoin de Ludovic pour le mariage de ce dernier. Ce fut la dernière fois que nous passâmes vraiment du temps ensemble. J'avais failli ne pas le reconnaître lorsque j'étais allé le chercher à l'aéroport de Mérignac. Une hôtesse de l'air marchait à ses cotés, riant aux éclats, visiblement sous le charme de ce séduisant célibataire. J'avais pris le temps de le dévisager le couple qui venait vers moi, lui dans un costume gris pâle mettant en valeur sa silhouette athlétique, des Ray-bans sur sa tête, son sac de voyage en bandoulière, elle, très belle dans sa tenue stricte d'hôtesse. Il marchait d'un pas assuré, chuchotant je ne sais quoi, quelque chose de drôle assurément. Toutes les filles craquaient pour son humour et son physique de sportif, brun, les yeux gris acier, les cheveux bruns en bataille, son sourire éblouissant, le tout mis en valeur dans ses jeans taille basse. J'étais fière de lui, de ce « frère » que toutes mes amies m'enviaient également pour sa personnalité charismatique, enjouée et protectrice. Et ce mec, qui venait vers moi, avait un look bien plus policé, bien plus sexy encore. Je n'avais jamais vu Robert que dans des tenues décontractées, son nouveau look d'avocat sérieux lui allait parfaitement bien. Dès qu'il me vit, il accéléra le pas, abandonnant la pauvre hôtesse sur place et me souleva dans ses bras, me faisant virevolter comme si j'avais toujours cinq ans. Je fis un sourire contrit à la demoiselle laissée en plan qui passa près de nous les yeux baissés. Il me reposa et s'excusa une seconde pour rejoindre la fille, qui s'appelait Elise, me semble-t-il, et qu'il fréquenterait jusqu'à ce qu'il rencontre Suzie un an et demie plus tard.

Je chasse les souvenirs de cette époque, celle d'un Robert heureux. Depuis deux ans nous ne nous discutons que rarement et le plus souvent par textos. Je réalise soudain, que mon ami ne me parle pratiquement jamais de lui, ni de sa vie. C'est moi qui fais toute la conversation, toujours excitée par un évènement quelconque. Quand est-ce que les choses ont changé sans que je m'en aperçoive, quelle drôle d'amie suis-je pour ne pas l'avoir remarqué plus tôt ?

Robert pousse un soupir et me ramène sur terre.

— Choupette...

Entendre mon surnom est perturbant, personne ne m'appelle plus ainsi. Lui-même ne l'utilise plus depuis des lustres.

— Ne t'approche pas de Nikki, c'est bien trop dangereux.

— Rob je n'ai plus dix-sept ans ! Je suis adulte ! Je viens de me faire larguer encore une fois ajouté-je. Il pourrait peut-être m'aider à comprendre ce qui cloche chez moi, m'apprendre quelques petits trucs, suggéré-je en rougissant au souvenir de « la scène » qui me trotte toujours dans la tête Il me semble aimer les défis et les relations passagères, je le devine à son franc parler, c'est parfait ! Je ne veux pas m'engager pour l'instant. De plus il est vraiment sexy ! Ce qui ne gâche rien.

Mon ami soupire, et me dévisage surpris. Je baisse les yeux, gênée et moi-même étonnée de ce que cette phrase suppose.

Tu as envie de coucher avec ce mec ? M'interroge ma petite voix intérieure.

Robert tend la main et me relève le menton pour que nos regards se croisent, je ne sais pas ce qu'il y voit. Ses yeux bleus par contre sont très expressifs, j'y lis une grande tristesse et de la lassitude et m'en inquiète. Ses signes confirment ce que je pressens depuis que nous sommes seuls tous les deux et qu'il laisse filtrer ses états d'âmes. Une angoisse soudaine me serre la gorge et ce nœud au ventre que je perçois depuis ce matin s'intensifie à la pensée vint me submerger.

— Tu n'es pas malade dis ? Tu me le dirais, n'est-ce pas ?

Il se force à sourire. Oh mon Dieu ! Pitié non ! Je ne peux pas le perdre lui aussi. Mais il me rassure ayant perçu mon trouble, il serre mes doigts dans ses mains.

— Je ne suis pas malade, Choupette c'est quelque chose d'autre mais pour l'instant...

Il prend une profonde inspiration. Je perçoit intensément son malaise.

— ...Pour l'instant ce n'est ni le lieu ni l'heure, n'oublions pas que nous fêtons le baptême de Nina, je t'en parlerais plus tard. Par contre, reprend-il en me regardant fixement, j'insiste, toi et Nikki oublie ! Pour votre bien à tous les deux. Je sais que tu es psychologiquement plus forte que lui. Etant donné que tu es une fille généreuse, tu le feras pour lui, pour moi et surtout...pour toi.

Je le regarde interloquée. Je ne comprends rien aux raisons de sa demande étrange.

— Promets-le-moi Meg !

Je déglutis, visiblement quelque chose m'échappe, mais je promets. Il m'est impossible de refuser quelque chose à Robert et je sais qu'il a raison, il faut que je me tienne éloignée de ce mec qui perturbe mes sens.

— OK, viens allons danser ! Ils ont mis cette chanson que tu adores.

Il me surprend en retrouvant son sourire, les ombres dans ses yeux ont presque disparues, il m'entraine sur la piste de danse aménagée sous le chapiteau. Un DJ mixe depuis un petit moment mais pour l'instant nous sommes les seuls sur la piste. Robert est un excellent cavalier, nous avons tellement écumé les boîtes de nuit ensemble que nous nous accordons parfaitement. Je ris quand il me fait basculer en arrière et enchaine ses pas comme si nous avions dansé la veille. Je retrouve le Robert insouciant que je connais, mais m'interroge sur ce qui le tracasse, sur la relation étrange du trio. Je songe qu'il sait peut-être pour Suzie et Nikki, ce qui expliquerait peut-être ces étranges mises en garde, je hoche la tête intérieurement. Non ! Robert n'accepterait jamais une liaison entre sa femme et son meilleur ami. Oui mais parfois les gens changent. Et qu'est-on capable d'accepter par amour ?

Juste un défi entre nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant