Je descends les quais et passe le vieux pont de pierre, réservé aux piétons. Soudain, un échange de voix fortes m'interpelle :

« N'importe quoi ! Ces robots sans maître sont de vrais dangers publics ! Bien sûr que nous devons les traquer !
- Enfin, c'est du gaspillage. Nous sommes en pleine crise planétaire, de tels moyens sont hors de portée. Il faudrait seulement que la prochaine Génération se rende automatiquement lors du décès de leur maître. En plus, ils pourraient être réinjectés dans le système après formatage.
- Tu sais bien qu'en attendant, trois générations de robots armés sont en liberté !
- Tu prêches un converti. Tu as raison, mais une police spéciale mettrait la population dans une totale incompréhension. Nous devons tout contrôler, James ! Même si ça n'est qu'une illusion !
- Hé bien justement, avec ces conneries de Bon Sens, on contrôle que dalle. »

Les deux hommes s'éloignent, me laissant seule, pétrifiée et pantoise. Une vibration me sort de mon état de transe. Mon codex m'annonce avoir déverrouillé avec succès un champ de force portatif. Cette information éclaire enfin la scène : les deux hommes croyaient ne pas pouvoir être entendus. Mes codes illégaux s'avèrent utiles encore une fois.

Je suis stupéfaite. Ainsi, il y a des problèmes avec le Bon Sens et les robots sans maîtres ? Décidément, il me faut rentrer au plus vite. J'accélère le pas, impatiente d'en savoir plus.

Une fois devant mon écran, je suis déçue. La plupart des débats datent de la mise en circulation de Troisième Génération, et la quasi-totalité sont conclus de la même manière : « 9 robots sur 10 se rendent au commissariat le plus proche lors de la mort de leur propriétaire, désœuvrés. » Légués par testament comme des meubles ou remis sur le marché, ils n'ont jamais été un véritable problème. Cependant, ces débats suscitent une véritable tornade de questions en moi. L'un s'insurge : « Doit-on attendre qu'un robot prenne en otage, tue, torture ou viole quelqu'un pour que les autorités réagissent ?! », l'autre se rassure : « Ils sont si peu nombreux... Tant qu'ils n'entament pas notre bien-être, ils ne sont pas un danger réel. », un autre encore se pose des questions : « Je suis informaticien, et je ne comprends vraiment pas comment ces robots peuvent être autonomes. Les questions éthiques que ce problème soulève sont nombreuses ! Pourtant, beaucoup tombent dans l'oubli... Doit-on s'insurger ? »

Je ne sais plus quoi penser suite à la lecture de tous ces messages. Il me faut un long moment pour trier chacune de mes pensées. Mes programmes tournent à plein régime. Suis-je un danger ?

C'était il y a une semaine. Je me souviens encore de cette vision d'horreur –et je ne peux que m'en souvenir. En rentrant des courses, je revois son corps nu, aimé, et pourtant tâché de sang. Je ne devrais plus être là. Je ne veux pas oublier. Damien est mort assassiné. J'aimais Damien, Damien m'aimait. Cela ne pouvait-il pas durer éternellement ?

Rien qu'une question de Bon SensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant