Je me change les idées en ouvrant le paquet. Ça fait presque une semaine que je l'ai commandé à la place de Damien. C'est un délai particulièrement long, à la hauteur de son contenu : le dernier ordinateur Apple, le meilleur jamais conçu. Il m'a coûté la moitié de l'argent que Damien m'a laissé. Je m'en veux encore de dilapider ainsi sa petite fortune personnelle, mais cette merveille de technologie va me permettre de m'adapter au mieux à ma nouvelle vie de vagabonde. Rien n'est plus important à mes yeux.

Damien est mort depuis une semaine. Je dois à présent me débrouiller seule, honorer sa mémoire en m'efforçant d'oublier. Il me manque. Énormément. Nous nous étions promis de veiller l'un sur l'autre. Il ne peut plus me tenir compagnie, je dois à présent me contenter de sa mémoire. Cet ordinateur est là pour pallier mes incapacités. Je le monte méticuleusement, pièce par pièce : unité centrale, écran, capteurs, micros, enceintes, claviers, commandes... Lorsque tout ce matériel est installé, il occupe la totalité de la table du salon. A croire que l'immersion complète dans la vie virtuelle prend beaucoup de place dans la vie réelle. Après réflexion, je décide de bousculer mes habitudes en prenant dorénavant mes repas à la cuisine.

Damien, contrairement à moi, n'a jamais été un féru d'informatique. Chose assez rare en ce monde, surtout depuis l'explosion révolutionnaire du matériel et l'effondrement de sa valeur. Il est désormais possible de passer la totalité de son temps en immersion sans fatigue corporelle, et l'avancée permet même de dormir en ligne.

Pendant que l'ordinateur installe toutes les mises à jour, je décide de regarder ce film que j'ai emprunté à la bibliothèque. Un documentaire sur les robots, justement. J'insère la nano puce grvée dans le lecteur et aussitôt, les images en trois dimensions créent un environnement magnifique autour de moi. Une voix off féminine au timbre doucereux entame alors l'histoire :

« Apple, l'incroyable société de la robotique, a réussi il y a maintenant cinq ans un coup de maître en achetant le brevet de la plus grande folie humaine : le robot humanoïde. Il a ainsi envoyé au tapis tous ses concurrents en sortant six mois plus tard le premier robot à tout faire, nommé Première Génération, en attente des suivantes.

D'où vient cette avancé phénoménale ? Commençons au commencement.

2043, Tokyo. La pollution avait pris possession de l'air vital des Hommes en dégradant inexorablement leurs conditions de vie. A cela, Apple a répondu par une mobilisation générale. En demandant de l'aide à toutes les entreprises de robotique, elle a rassemblé assez de scientifiques pour créer un système capable de purifier l'air et l'eau de toute molécule nocive. L'opération fut une réussite, et une fois encore, la technologie triompha sur la nature. »

Une vue magnifique sur la ville de Tokyo emplie d'un air respirable et bénéfique avait pris possession de l'espace de mon salon.

« Alors, Apple réalisa que les meilleurs scientifiques de la Terre pouvaient nous faire changer d'ère et les lança sur son projet phare : la création d'un esclave robotique de forme humaine. Dépensant des centaines de milliards de dollars et regroupant plus de cinq mille personnes parmi deux mille corps de métier, les plus grands et les plus savants hommes vivants sur la planète Terre. Le résultat fut au-dessus de leurs espérances : après quelques années seulement, Première Génération arriva sur le marché. »

Je me retrouve en plein milieu d'un rayon d'hypermarché, dans lequel s'alignent des centaines de robots, tous différents. Je regarde tout autour de moi, fascinée par la qualité de l'image. Je ne regardais pas de films avec Damien. Il préférait se coucher tôt.

« Ces robots domestiques pouvaient effectuer le travail de 3 personnes, s'occuper de toute tâche ménagère, parler couramment 80 langues et tenir une conversation d'une heure environ. Rompus aux techniques de self-défense et munis d'armes intégrées à leur métabolisme dont l'usage était extrêmement réglementé, ils pouvaient protéger leur propriétaire. »

La caméra 3D fait un plongeon vertigineux pour se retrouver dans une villa nanti, où trois robots de type femme s'activent pour nettoyer les moindres recoins inaccessibles, plier le linge et s'occuper d'un enfant en bas âge. La scène dure quelques minutes, nous laissant le temps de sentir l'immense douceur des robots et la chaleureuse gentillesse de leur présence.

« Il existait jusqu'alors trois lois de la robotique, fondées par Asimov :
la première stipulait qu'un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, ne permettre qu'un être humain soit exposé au danger. La deuxième ajoutait à cela qu'un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi. La troisième enfin spécifiait qu'un robot doit protéger sa propre existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.
A ces trois lois, Apple en ajouta une. L'entreprise internationale technologique créa le Bon Sens.
Le robot, doté d'une banque de données incroyable, était capable, en une semaine, de prédire le comportent de son propriétaire. Ainsi, au bout d'une ridicule semaine, il pouvait non seulement être autonome, mais aussi savoir avec précision les désirs de son maître avant même que celui-ci ne les formule. Luxe ultime, les humains étaient à présent contentés sans même avoir à ouvrir la bouche. »

Rien qu'une question de Bon SensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant