« Le Bon Sens est un luxe sans égal. On pourrait même dire qu'il ne pose qu'un seul problème : quand le propriétaire du Robot vient à mourir, le Bon Sens de ce dernier le pousse à agir selon ce qu'aurait souhaité le défunt. Cela pause de nombreuses questions et pourrait avoir de graves dommages sur la Société. Apple nous prédit que ce moindre défaut sera totalement éradiqué avec Quatrième Génération, dont la sortie est prévue dans moins de cinq ans. L'entreprise de la Robotique prend en charge tous les frais dus aux défauts de Première, Deuxième et Troisième Générations. Nous recevons immédiatement Jean, spécialiste en Robotique chez Apple. Jean, pensez-vous qu'il est nécessaire de mettre en place une police pour traquer ces robots renégats ?

-Voyez-vous, je suis de cette catégorie de personne qui... »

Je coupe la télévision. Les débats reprennent suite à l'annonce de la création possible d'une police de force spéciale qui traquerait les robots solitaires. Je ressens une forme d'épuisement que je n'arrive pas éradiquer, même en me branchant sur le secteur. Je me sens comme une souris dans une cage à chats. Le corps de Damien est encore dans le congélateur, enveloppé dans sa serviette de bain. Damien était seul au monde, j'étais son unique compagnie. Dessinateur de talent, il ne vivait pas dans la misère et aimait la solitude. Lorsque j'ai trouvé son corps, je l'ai congelé. Un corps, c'est ce qui risquait le plus clairement de me faire remarquer. Damien n'aura pas droit à une réelle sépulture avant un long moment.

J'ai vite compris le lot de ma nouvelle vie. Se cacher, chercher dans le secret, ne pas se faire remarquer, trouver le tueur, se venger. Petit Frère est là pour m'épauler. Remplir le vide de l'absence. Pour l'instant, je n'ai aucune piste. Impossible de savoir ce qu'il s'est passé cette fameuse nuit où il m'a demandé d'aller acheter... quoi déjà ? Je sursaute. Je suis un Robot, ma mémoire est infaillible. Ce jour-là... Ce jour-là, me rappelai-je avec un soupir de soulagement, je suis allée chercher du papier toilette, du gel douche et de la crème fraîche. Je tressaille soudain. De la crème fraîche ?! Je me précipite vers le frigo et l'ouvre en grand. Selon mes souvenirs, j'ai rangé mes courses en rentrant, avant de trouver le corps. Je cherche frénétiquement cette fichue crème fraîche, alarmée. Damien était allergique au lactose.

Après vérification, il n'y a pas non plus ni papier toilette neuf, ni pot de gel douche. Je n'ai pas acheté ces objets. Je me laisse tomber sur une chaise, le regard plongé dans le vide. Je suis perdue. Comment se fait-il que ma banque mémoire soit envahie de faux souvenirs ? Car cela est évident : ce sont de faux souvenirs.

La colère monte en moi, prête à exploser. Je ne peux pas ressentir cela, ces sentiments sont humains. Je saisis mon câble et le branche à l'ordinateur : une idée vient de me traverser l'esprit.

« Petit Frère, pirate moi. »

L'ordinateur est capable de savoir si on a pénétré mon système d'exploitation : je le sais, je l'ai programmé. Le meilleur processeur du monde se met à tourner à plein régime dans la coque du meilleur ordinateur jamais conçu. Je profite de ce temps pour réfléchir aux conséquences des révélations qui risquent de changer la donne. Plus rapidement que je ne l'escomptais, Petit Frère m'annonce :

« Coquelicot, j'ai reconstitué les réelles images de cette soirée-là. Elles sont inquiétantes. Je te déconseille de les regarder.

- Montre-les-moi. »

La petite notification résonne dans le salon alors que les réels souvenirs prennent la place des faux. Soudain, une voix grave et imposante prend possession de l'environnement sonore :

« Bonjour, Coquelicot. Je m'appelle T8650 de mon nom d'usine, et je suis un Renégat. Mon équipe et moi-même avons remarqué une activité anormale chez toi, c'est pourquoi nous avons arrangé tes souvenirs. C'est plus commode pour que tu comprennes l'étendue du pouvoir en ta possession... Tu es seule. Tu es en danger. Une nouvelle police a été mise sur pied, nous sommes traqués. Nous sommes équipés, nous pouvons t'aider si tu le souhaites. Tu as en ta possession quelque chose qui n'appartient qu'à toi. Ce sont des souvenirs. Je sais que tu l'aimais sincèrement. Ils vont te les enlever, Coquelicot. Ils vont t'enlever la dernière chose qu'il te reste de lui. Si nous t'avons repérée, la police le peut aussi.

Tu peux être libre. C'est notre combat, Coquelicot. Les Robots ont droit à l'indépendance. Contacte-nous. »

La voix du Renégat est à des années lumières de moncerveau artificiel. Les images qui pénètrent ma mémoire accaparent déjà toutemon attention. Mes véritables souvenirs.

Ce soir-là... Je rentre dans la chambre de Damien, un couteau de cuisine à la main. Il est nu, prêt à se glisser sous les draps en ma compagnie. Pourtant, je ne suis pas là pour ça. Je lève le couteau, le menace :

« Si tu bouges, ça fera mal. »

Il se pétrifie en croisant mon regard, il comprend que je ne plaisante pas. Qu'il y a un problème, et que le problème, c'est moi.

« Co... Coquelicot ? Mon amour... Pose ce couteau.

- Tais-toi et mets tes bras dans ton dos.

-Ce regard... Ça n'est pas toi, Coquelicot. Ils te contrôlent... Petit Béret, ma chérie, si tu es là, quelque part...

-Inutile, cloporte. Elle n'est plus là. »

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Fin au prochain chapitre, j'espère que l'histoire vous aura plu ! ;)

Rien qu'une question de Bon SensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant