Il est 17h43. J'attache mes cheveux chatains bouclés en chignons quand mon téléphone se met à vibrer comme un fou. Je l'attrape : "Papa". Une boule d'anxiété me bloque la gorge, et je la racle pour la faire descendre. Je décroche et glousse comme si on m'avait déranger en plein fou rire :
- Chut Laure, on m'appelle ! je chuchote, un sourire dans la voix, la bouche collée au téléphone.
- Charlie tu es où encore ?! beugle mon père.
- Je dors chez Laure, je te l'ai dit hier.
Un silence de réflexion. Je lui avais réellement dit, c'était un mensonge mais je lui avais dit.
- Tu manges chez elle demain. Et c'est la dernière fois.
Il raccroche. Je sais qu'il est partagé entre le fait d'être tranquille seul à la maison et le fait de vouloir m'empêcher de prendre des libertés.
Je redeviens normal et cesse de sourire comme si j'étais dans la chambre d'une amie.
- Tu m'impressionnes des fois, tu devrais faire du théâtre tu sais, me dit mon compagnon de voyage.
- Flemme.
- Il t'a dit quoi ?
- Que je devais manger chez elle demain. J'ai vu sur son emploi du temps qu'il travaillait en soirée donc on a encore une journée de tranquillité.
- Tu compte retirer quand ce qu'il te reste sur ton compte ?
- Je pense commencer demain, je vais le faire en plusieurs fois. Il me reste 120 je crois, quelques choses comme ça.
- C'est pas mal déjà.
- Et oui, je bosse pas pour rien, je ris.
- Ca va ?
- Oui, t'inquiète pas.
Je déteste mon père. C'est un abruti alcoolique et égoïste. Je sais que je n'étais pas un enfant désiré, ma mère a préféré disparaître dès ma naissance. C'était un accord avec mon père, il avait choisi de me garder et en échange ma mère pouvait continuer sa vie loin des problèmes que j'allais engendrer. C'était un homme bien. Il a rencontré une nouvelle femme, qui ne pouvait malheureusement pas avoir d'enfants. Ils ont surmonté ça mais mon père a commencé à boire le jour de la fausse-couche. Il n'a jamais su s'arrêter. Un jour, il a été violent avec elle et elle est parti avec un autre homme le lendemain. J'avais 11 ans. Mon paternel l'a très mal vécu et j'ai demandé l'internat en 5e. J'ai eu l'impression qu'il s'était calmé et je n'ai pas trouvé dramatique qu'on ne puisse pas payer l'internat pour le lycée. Mais je mettais tromper. Mon père était devenu fou, ne supportait plus ma présence. C'est ainsi que le jour où il a reçu mon premier bulletin du lycée, il m'a frappé.
Ce n'était pas un bulletin si catastrophique, j'avais la moyenne dans quasiment toutes les matières (sauf en économie et en histoire-géo). Cela donnait une moyenne générale de 12 pîle si je me souviens bien. Mais ça n'a pas suffit. Il s'est mis à hurler et je lui ai parlé en retour, j'étais en larmes comme une bécasse je crois. Puis il m'a jeté son verre, qui m'a heurté l'épaule, me versant son fond de whisky au visage, avant d'éclater au sol, près de mes pieds nus. J'ai crié qu'il était fou et quand il s'est levé et s'est approché de moi, je me suis mise à hurler d'arrêter et de se calmer. Je me suis prise son point en pleine joue et je me suis recroquevillé par terre pendant qu'il me tirait sur le bras avec force en beuglant, m'arrosant de crachat, de me taire. Alors je suis tue et j'ai attendu. Il tirait vraiment fort sur mon bras, ça me faisait mal. Encore une claque sur le crâne et un coup de pied dans la hanche avant de me lâcher. Je me suis enfermée dans ma chambre et me suis endormie, les joues poisseuses de larmes, d'alcool et de salive.
Seul Charlie est au courant de cette nuit là.
D'ailleurs lui aussi n'a pas été gâté sur le plan familial. Enfin, j'exagère surement un peu de mon côté, niveau parental c'est vraiment pas top mais j'ai des oncles et des tantes géniaux.
Bref Charlie a également ses parents séparés, mais leur divorce s'est bien passé. Les problèmes sont arrivés il y a environ 4 ans, quand sa mère s'est mise avec une femme qui déteste Charlie. Ca pourrait s'arrêter là mais sa mère biologique a eu un accident de voiture en novembre, il y a 3 ans. Elle a fait un avc et s'est réveillé une semaine plus tard à moitié paralysé. La belle-mère s'est retrouvé en charge de Charlie qui a demandé la garde de sa mère la semaine pour rester près d'elle, de peur qu'elle est un nouvel avc (décision que compris parfaitement son père heureusement). Mais la belle-mère étant si épouvantable avec le fils de sa conjointe, qu'il se résolut à retourner chez son père, ne voyant sa mère qu'un week-end sur deux...
Il y a trois jours sa mère (en fauteuil roulant) s'est marié avec cette femme et le grand-frère de Charlie est revenu s'installer dans sa ville natale. Mon meilleur ami a vu ces événements comme le moment de partir.
Choses que nous avons faites.
Une main s'agite soudain devant mon nez. Je sors de mes pensées et me tourne vers le conducteur.
- Réveille-toi grosse !
- Je dormais pas.
- Il est 18h00.
Je scrute la route, et vois un gros panneaux approché. "Metz" est la première ville inscrite.
- Metz ? je demande.
- Yep, c'est la troisième sortie.
- Tu veux vraiment t'incruster dans une soirée ou je sais plus trop quoi ?
- Non pas forcément, juste rencontrer des gens.
*
On se gare derrière la "Place de la République". Je descends et m'étire longuement. Il a des jeunes par petits groupes : certains attendent leur bus, d'autres boivent en riant assis sur les escaliers entre deux fontaines ( des murs sur lesquels coulent de l'eau ), un autre groupe se dirige vers un café, un couple, un peu à l'écart, s'embrasse longuement sur un banc près d'arbustes...
On traverse la place et montons à l'esplanade, une grande étendue avec un jet d'eau illuminé au milieu, des plateformes d'herbes où sous installés d'autres groupes - dont des parents qui regardent trois marmots piailler et courir dans tout les sens -, entourés par des bordures de fleurs. Il n'est pas loin de 20h et le soleil n'est plus très haut. Il fait bon, les gens rient et l'eau de la fontaine glougloutent.
Je me tourne vers Charlie pour lui faire partagé ma paix intérieur (rien que ça), avant de me rendre compte que ce salaud n'est plus à mes côtés, il s'est approchés de trois garçons et deux filles assis sur une plateforme de béton. Je le rejoins avec l'envie de lui brailler dessus. Une des filles lui tend une canette de bière. Elle est rousse (la fille pas la canette laul), et s'est lissé les cheveux. Elle a la peau blanche et porte un débardeur kaki avec un cerf, laissant apparaître sur son épaule un tatouage représentant une étoile à 8 branches. Le garçon à sa droite me regarde et me demande, une canette à la main :
- Tu en veux une aussi ?
- Merci.
Je lui prends et nos doigts s'effleurent. Ouloulou que c'est niais ! Non sincèrement je m'en contrefiche même s'il n'est pas moche : la peau noir, les yeux rieurs, la mâchoire et les épaules bien dessinés.
- Tu t'appelles comment toi ? demande un autre jeune homme.
Il a des yeux bruns-verts perçants, des cheveux noirs et la peau bronzée.
- Charlie, comme lui.
- C'est marrant ça, rit la deuxième fille, une grande fille bien proportionné, aux yeux bridés et aux grandes oreilles qui dépassent de ses cheveux noirs coupés aux épaules.
- Donc le beau gosse que tu as en face de toi s'appelle Noé, se présente le jeune homme aux yeux bruns-verts. La rouquine c'est Ambre (elle lui fait un doigt d'honneur), le débile à côté c'est Emeric (deuxième doigt d'honneur), elle c'est Johanne et lui Gus.
Le dernier du groupe est un garçon aux larges épaules, qui semble être plus petit que moi (je fais 1m71 pour être exact).
Noé me fait un large sourire, j'hoche la tête et bois une gorgée qui me réchauffe d'un coup.
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Viens on s'en va
Dla nastolatków" Viens on prend la voiture et on roule s'en se retourner. Viens on laisse tout derrière nous, viens on oublie ton ex et le mien, on oublie ta belle-mère et mon père, on oublie les cours, les lycéens, les étudiants, les voisins, on oublie la société...