Chapitre 21.

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Où Eden se rend compte d'à quel point dire au revoir peut être difficile.

J'ai toujours détesté le dimanche. Parce que les enterrements ont souvent lieu le dimanche, parce que ce mot est vraiment laid, parce que c'est sensé être un jour de repos mais que le lundi, le début d'une autre longue et ennuyeuse semaine, est juste sous notre nez à nous narguer. Et maintenant, je peux ajouter à la liste que je déteste le dimanche parce que c'est le jour où Sacha part.

On a tenté de profiter au maximum de ces deux dernières semaines ensembles. On a passé presque tous les jours tous ensembles, et quand on ne l'était pas, alors on ne les passait qu'à deux. On s'est fait viré du cinéma parce qu'on jetait du popcorn sur les gens, on a fait vivre à La Guigne la première cuite de sa vie, on a passé des après-midi entières à ne rien faire et juste somnoler dans nos hamacs de fortune perchés au dessus de la rivière, on a galéré à construire des barreaux sur un arbre tout ça pour pouvoir plonger dans l'eau depuis sa cime. Mais malgré tout ça, j'ai l'impression que tout s'arrête trop vite, qu'on nous coupe en plein élan.

Et là, on se retrouve à marcher tous les 5 vers chez Sacha, habillés en noir. Si Sacha suit le mouvement de contestation qu'ont voulu instaurer les Jumeaux en nous disant de nous habiller de cette couleur, alors il sera lui aussi en noir. Aucun de nous ne parle. On se contente de marcher jusque là-bas, la tête baissée. Lorsqu'on arrive, Sacha est en train de mettre sa valise dans le coffre de la voiture. Habillé tout en noir. Un léger sourire apparaît sur mes lèvres, et disparait aussi vite lorsqu'il s'approche de nous et que je remarque ses yeux habituellement brillants et pétillants, totalement vides. Sans un mot, on vient tous le prendre dans nos bras, finissant par former un tas difforme en un énorme câlin collectif. On reste un long moment comme ça, puis on finit par se séparer.

« - Vous allez me manquer, murmure t-il d'une voix qui semble sur le point de se briser.
- Tu vas nous manquer aussi, La Plume, affirme La Guigne d'un air triste.
- Mais on se reverra un week-end sur deux, c'est rien, déclare Jumeaux 1. »

Sacha baisse la tête. Je fronce les sourcils. Il reste silencieux. Quelque chose ne va pas. Putain, y'a quelque chose qui va pas, je le sais.

« - Sacha ? On se reverra bien un week-end sur deux, hein ? »

Lorsqu'il relève la tête et que je vois les larmes qu'il tente de retenir, mon coeur loupe un battement.

« - Sacha, je souffle d'une voix basse, pleine d'espoir.
- Je suis désolé, finit-il par dire, et sa voix se brise. Je voulais pas vous le dire, je voulais qu'on profite...
- Est-ce que t'es en train de dire que tu ne rentreras pas un week-end sur deux ?, demande Jaymi d'une toute petite voix. »

Il hoche la tête et mon coeur se brise. Littéralement. Je peux presque entendre les morceaux fraîchement recollés se fendre à nouveau.

« - Depuis le soir des vacances, où je devais rentrer à 22h30 et que..., il me jette un regard et je rougis. Ils ont décidé que je ne rentrerai qu'aux vacances. Une idée de mon beau-père, sûrement.
- Mais les prochaines vacances..., commence La Guigne.
- 73 jours, murmure Sacha en laissant une larme rouler le long de sa joue. »

J'ai envie de rentrer à l'intérieur de cette putain de baraque et de casser la gueule à ces 2 abrutis qui infligent ça à leur fils. Je le prends dans mes bras et il glisse son visage dans mon cou, murmurant des " désolés " à profusion. Ma vision se brouille à cause des larmes qui menacent de jaillir de mes yeux. Cette fois-ci, les garçons restent en retrait, nous laissant tous les deux. Je dépose un baiser sur son front et approche mes lèvres de son oreille.

« - Ça va aller, d'accord, je murmure d'une voix tremblotante. Ça va aller. Y'a les appels, et les skype, et les messages, ça va aller. On se reverra vite. Ça va aller.
- Tu vas me manquer, murmure t-il en retour.
- Mais non, tu n'auras même pas le temps de t'être fait à l'idée que t'es parti que tu seras déjà de retour.
- Eden...
- Chut.
- Les gars, murmure Jaymi. »

Je relève la tête pour voir les parents de Sacha, au pas de la porte, nous observer avec dureté. Je leur lance le regard le plus noir qu'il m'est possible de faire, et Sacha tourne la tête pour suivre mon regard. À la vue de ses parents, il se retourne aussitôt vers moi et m'adresse un petit sourire, un faible et pâle fantôme de son habituel sourire banane dont je suis fou.

« - Je t'aime, murmure t-il d'une voix douce. »

Mon ventre se serre à l'entente de ces mots, et un sourire prend place sur mes lèvres. J'ancre mon regard dans le sien, observant ses iris d'un vert hypnotisant, tentant de mémoriser leur couleur au maximum. Prenant une profonde inspiration, je me jette à l'eau.

« - Je t'aime. »

Son léger sourire se transforme lentement en un grand, grand sourire, et je sens mon coeur s'emballer face à ça. Je suis définitivement, entièrement et irrémédiablement amoureux de ce garçon.

« - Je crois que mon beau-père a un problème avec les homos, susurre t-il d'un ton amusé. »

Ensuite, tout se passe au ralentis. Il glisse un bras autour de ma taille, m'incite à me pencher en arrière et vient capturer mes lèvres, comme dans les films. J'entoure son cou de mes bras et souris contre ses lèvres, ravi de pouvoir faire une dernière chose pour contrarier ce connard qui nous sépare. On ne reste pas longtemps ainsi, parce que ses parents l'appellent, visiblement outrés, en lui disant qu'ils devaient partir maintenant. Il m'aide à me redresser, et m'abandonne quelques secondes le temps de faire un câlin à chacun des garçons. Ils sont tous au bord des larmes aussi, mais seul La Guigne se met vraiment à pleurer au moment de lui dire au revoir. Cette scène me fait un peu sourire, parce que même s'il est mon petit-ami, il est avant tout un garçon perdu, et on est une famille. Lorsqu'il se tourne de nouveau vers moi, il m'adresse un sourire et tend ses bras vers moi, m'invitant à m'y blottir une dernière fois. Ce que je fais. Je passe mes bras autour de sa taille et le serre fort contre moi, inspirant longuement son odeur si familière, pour ne pas l'oublier. On finit par se séparer, et je sens que je suis à deux doigts à pleurer.

« - On se revoit bientôt, Wesley.
- M'oublie pas.
- Jamais, murmure t-il, comme une promesse. »

Il dépose un baiser sur le bout de mon nez et s'en va vers la voiture, où sont déjà installés ses parents. Il ouvre la portière, nous adresse un dernier regard, un dernier sourire, et entre dans le véhicule. Je sens des bras se glisser autour de mes épaules, et je vois les Jumeaux se tenir là, chacun d'un côté, Jaymi et La Guigne eux aussi un bras passé autour de leurs épaules.

On le regarde partir, partageant tous la même impression de perdre beaucoup plus qu'un simple ami.

lost boys [bxb]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant