Les six Modes.

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Gaïa éleva donc ses enfants avec amour et sagesse, mais elle réalisa rapidement qu'ils étaient tous très différents de caractère, si étrangers les uns aux autres qu'elle les appela Modes. Et, en effet, chacun des six enfants de Chronos développa une personnalité très particulière, une manière de voir la vie très spécifique.

Le Mode Indicatif, l'aîné, était le plus sage, le plus raisonnable. Dénué d'imagination, il se voua à l'étude de ce qui est : la matière, les lois de l'univers, les êtres vivants... Matérialiste et terre-à-terre, il se refusait à évoquer tout ce qui ne lui paraissait pas certain, démontré et irrévocable. Autant dire que l'aîné s'occupa très vite de la gestion de la maisonnée et joua le rôle de remplaçant de ce père absent et monstrueux. Évidemment, ses frères s'offusquèrent rapidement de son manque de fantaisie et d'humour et le laissèrent de côté.

Les Modes Subjonctif et Conditionnel, en revanche, s'entendirent très bien malgré leurs différences. Dénués de bon sens et de tout le sérieux de leur aîné, ils ne vivaient qu'en imagination, se projetant dans des mondes de rêve, d'hypothèse et de fantaisie. Néanmoins, malgré leur goût commun pour l'imaginaire, une différence de taille les opposait : Subjonctif était craintif, prudent et doutait de tout, même de lui-même, alors que Conditionnel, lui, optimiste et idéaliste, fanfaronnait sans cesse et se vantait de toutes sortes d'exploits et actes héroïques fort improbables qu'il accomplirait plus tard.

Le Mode Impératif, lui, fit très vite parler de lui, et pas en bien, croyez-moi ! Tyrannique, il s'imposa bien vite comme un leader des plus antipathiques, cherchant à tout commander dans la vie de la maisonnée. Mais là où Indicatif travaillait réellement au quotidien afin de gérer la communauté, Impératif multipliait les ordres et les contre-ordres sans pour autant montrer l'exemple. Aussi, à cause de son tempérament autoritaire et colérique, il fut à son tour laissé de côté.

Enfin, comme dans toute fratrie, les deux petits derniers étaient chétifs et pitoyables. Infinitif, lui, était quasi-impotent : il était presque incapable de bouger et d'agir. C'est à peine s'il pouvait évoquer quoi que ce fut. Il se contentait de formules abstraites et impersonnelles, sans qu'on sache s'il s'adressait à quelqu'un en particulier, ni même s'il avait conscience de parler. Participe, lui, ressemblait beaucoup à Infinitif car il était victime des mêmes handicaps mais, moins renfermé sur lui-même, bien qu'incapable de se débrouiller tout seul, il cherchait la compagnie de ses frères pour les aider dans leur travail. Participe était donc souvent entraîné par les autres alors qu'Infinitif demeurait seul.

Un beau jour, leur enfance s'achevant, Gaïa, leur mère – et grand-mère – les réunit autour du feu pour leur annoncer son départ et leur entrée dans l'âge adulte. Les six Modes furent tristes, bien sûr, mais également excités à l'idée de partir découvrir le monde. Gaïa partit donc dès le lendemain, laissant les six frères organiser leur voyage vers l'âge adulte.

La ronde des temps ou Comment naquirent les temps de la conjugaison française.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant