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Voilà deux ans que nous sommes installés ensemble ici, et Lucas s'est trouvé une passion pour la moto.
  Passer des manèges de parcs d'attraction à cette sensation de se sentir si libre, flottant sur les routes comme un oiseau qui vole toujours plus haut.
  Je dois dire que je le comprends, lorsque je monte avec lui, c'est comme si plus rien n'avait de limites.

  Un soir en rentrant du collège en voiture, j'écoute la radio.
La chanson A Comet Appears du groupe The Shins passe et je me laisse emporter par ce flot de bien être.

  C'est étrange de voir sa vie changer au fil des jours, évoluer.
  Je vis en Australie, je parle anglais presque tout le temps, j'ai maintenant vingt ans.
  J'ai l'impression que tout va bien.
  Il y a quelques années, quand je sortais à peine du collège, je n'aurais jamais ressenti ça.

  C'est une sensation si savoureuse de sentir dans chaque pore de sa peau le picotement de l'excitation. De se dire que le monde nous offre tout.

Un flash info passe à la radio. Je monte le son et me concentre pour comprendre les mots en anglais qui sont parfois prononcés avec un certain accent par les présentateurs.

"Un crash violent entre une moto et un camion est survenu il y a quelques minutes sur la route principale vers la banlieue de Sydney. Le motard serait mort sous le choc. Il s'agit d'un jeune homme. Le camion aurait apparement...."

Je n'entends plus rien.
Ni la voix du reporter radio.
Ni le bruit du moteur de ma voiture.
Plus rien sauf le vide qui m'assaille.
Je saisis mon téléphone.
...
...
...
Le mélange entre l'inquiétude étouffante, la peur, le mauvais pressentiment s'installe en moi.
L'air ne parvient plus à mes poumons.
  
  
    
  Je ne sais pas comment je suis arrivée chez nous.
Je rentre en tournant la clé qui tremble dans ma main.

Ces murs que nous avons peints ensemble. Ces meubles que nous avons choisis.
Plus rien n'a de sens sans lui.
Je titube entre les murs du couloir.
Lucas n'est pas là.
Il y a très peu de motards à cette heure-ci sur la route, il est à peine quatorze heures.

  Je m'installe dans le fauteuil de Lucas, celui que je trouve affreux depuis qu'il l'a rapporté d'une brocante dans le côté Ouest de la ville.
  Il porte son odeur. Celle qui me fait vivre.

Les minutes sont interminables. Je ne peux plus rester inactive, il faut que je le retrouve.
Il devrait déjà être rentré.
Mon téléphone l'appelle en boucle depuis vingt minutes.
Je ne devrais pas m'inquiéter autant.
Mais cet accident a eu lieu sur la route qu'il emprunte, à l'heure à laquelle il l'emprunte.
"Une moto. Un homme décédé sous le choc. "

L'incertitude est pire que tout.
Je me souviens vaguement de la description de l'homme qui parlait.
"Un jeune homme, âgé d'environ vingt ou vingt-cinq ans. Un casque fendu en deux a été retrouvé sur le lieu de l'accident..."

Mon corps est emprisonné dans une panique sourde.
Au moment où je me décide à me lever, une ombre se dessine devant la porte vitrée.
Comme le fantôme noir de quelqu'un qui vient dire adieu.

  Je m'approche avec prudence. Me méfiant de ce que l'opacité du verre me cache.
  Des sirènes de police ou d'ambulances retentissent dans la rue.
C'est fini. Le rêve prend fin et laisse place au ... cauchemar ... plutôt au néant.

  J'appuie sur la poignée de la porte qui me sépare de cette ombre mystérieuse.
  Au moment où la porte s'ouvre, personne n'est là.
  C'est comme si le reflet maléfique d'un ange avait disparu et était reparti en s'évaporant après un bref adieu.

Je perds tout espoir. Il n'est plus. J'en ai le pressentiment.

Je m'apprête à me soumettre aux ordres de mes jambes lorsqu'elles m'ordonnent d'abandonner et de tout relâcher. Comme toute la vie qui s'est enfuie de mon corps.

Les heures passent et le peu d'espoir que j'entretiens - pour qu'il passe la porte laissée ouverte - s'affine de plus en plus.
Il sera bientôt minuit.

À 23 heures 56, je me relève pour fermer la porte en sortant regarder le ciel.
Je lève les yeux et ne vois aucune étoile.
C'est peut être un coup du sort, mais à chaque fois que Lu... qu'il n'est plus là, les étoiles disparaissent.
Le guide de ma conscience et de mon être tout entier disparaît dans le ciel qui est ma vie.

Je n'ai pas le courage de crier son nom dans la nuit, pas même le courage de me rendre à l'hôpital pour savoir. Pour avoir une certitude.

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...
...
...
Je suis restée toute la nuit sur le perron du loft. En attendant tout signe de vie.
Rien.
Jusqu'au levé du soleil.
Un bruit de moto. Sa silhouette qui se profile et grossit plus il avance vers moi.
Je suis si fatiguée d'avoir passé la nuit dehors sans fermer l'oeil, que je crois à une hallucination. Un mirage.

  Je tend la main vers lui.

Je sors de cette transe paralytique lorsque ma main touche son ventre.
Il paraît si réel.

-Viiiic ?

Les larmes coulent sur mes joues tant je ne sais plus discerner le rêve de la réalité.

-Lu... Lucas ?
-Oui, qui d'autre ?
-Tu n'es pas là ?
-Euuh si. Je suis désolé, je voulais t'envoyer un message, mais je n'avais plus de batterie.
Il y a eu un accident et toute la route a été bloquée cette nuit.
-Quoi ?

Plus il parle, plus je prends conscience que c'est bien lui, là, face à moi.

-Tu vas bien ? Me demande-t-il d'un air inquiet.

Des larmes se mettent à couler sur mes joues.
Je pleure. Dans un sentiment qui mélange tout.
Le soulagement de le revoir, de le savoir vivant.
L'inquiétude de toute cette nuit que je n'avais pas pu exprimer.

-Vic ? Qu'y a t-il ?
-Je te croyais mort !
-Quoi ?
-Dans ma voiture, a la radio ils ont annoncé la mort d'un motard, c'était cet accident où tu étais. Je savais que tu étais la bas . C'était ta description. Tu n'étais pas ici. Alors toute la nuit, au fil des minutes, je sentais la certitude devenir de plus en plus puissante.
Si tu étais mort j'aurais fini par détester cette chanson qui passait pendant l'accident, A Comet Appears, ça aurait pu être un signe...

Je m'arrête de parler en le voyant s'abaisser.
Il pose un genou à terre et sort une boîte de sa poche.
Quoi ?

-Je t'aime. Une larme coule sur sa joue aussi.
Personne n'a jamais tenu à moi autant que toi, et je ne veux plus être séparé de toi. Tu es la seule qui compte. Et qui comptera toujours.
  Je voulais commander un restaurant pour ce soir, mais là c'est bien. On a le levé de soleil, toi, et moi. Et je ne peux plus attendre. Je t'aime trop pour passer une seconde de plus sans savoir que tu seras à moi pour toujours.
Bébé, tu veux te marier avec moi ?

Quoi ?

Pourquoi Pas Nous ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant