Chapitre 3

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Ça fait trois mois que Charlie est mort, et cinq semaines qu'on a dit au revoir à Sam. Il est parti un soir, il nous a tous envoyé un message pour nous expliquer son choix, il disait qu'il en pouvait plus, qu'il voulait tout recommencer, tout reprendre à zéro, alors on a compris. Personne n'a cherché à le retenir, mais il a plutôt intérêt à nous donner des nouvelles de temps en temps parce que sinon on a dit qu'on irait le chercher où qu'il soit. Ça fait bizarre sans lui, la bande ressemble plus à rien, d'ailleurs on se voit plus beaucoup, on est plus vraiment un groupe.

Carla a vraiment maigri, au début on était contents pour elle, elle faisait du sport elle se défoulait, on pensait que ça l'aiderait à aller mieux mais au final je crois qu'on s'est plantés, aujourd'hui son poids commence à devenir une obsession pour elle et nous on est plutôt inquiets. Avec Jay on a dit que si elle continuait comme ça on irait voir ses parents et la psy du lycée, puis si ça marche pas on passera aux choses sérieuses. Pour l'instant on laisse faire on espère que ça va passer quand elle aura fait le deuil du p'tit Charlie, mais moi au fond de moi j'y crois pas trop et elle commence à sérieusement m'inquiéter. Elle est de plus en plus fragile, ces derniers temps elle pleurait souvent pour rien, puis elle est fatiguée tout le temps, je me pose des questions.

Jay lui il cache beaucoup ses sentiments, il nous montre pas trop qu'il est triste mais on sait qu'il l'est. Il s'en sort bien il est du bon côté de la pente mais il en reste encore à gravir et il le sait. Mais c'est un type fort, il a la tête sur les épaules et il m'aide beaucoup. Quand ça va pas c'est lui que je vais voir il positive tout le temps, même quand tout s'effondre il trouvera toujours quelque chose en quoi se raccrocher.
Quand on s'est connus Jay et moi il a tout de suite pris le rôle d'un grand-frère. Brun aux yeux bleus il en aura fait craquer plus d'une, mais moi c'était plus profond. Il était hyper protecteur il me laissait pas sortir seule avec des gars qu'il connaissait pas, une fois il avait menacé de frapper un type qui me faisait du rentre dedans dans le tramway. C'était un peu excessif mais le mec m'avait fait peur, heureusement que Jay était intervenu. Ça me touche beaucoup ce qu'il fait pour moi, je lui en serai toujours mille fois reconnaissante.

Mathieu, lui, il reste un peu en retrait. Sam c'était son meilleur pote alors quand il est parti je pense que Mat s'est senti vraiment abandonné et il a pas digéré l'histoire. On le voit moins ces derniers temps et je trouve ça dommage. C'est vraiment un mec bien, mais là il fait un peu des conneries. Il boit souvent, même seul chez lui, il fume beaucoup trop et il a commencé a dealer. Quand on l'a su avec Jay on est allés le voir pour qu'il arrête ses conneries. On savait qu'il prenait de la drogue d'ailleurs dans la bande ça nous arrivait aussi de temps en temps mais Mathieu c'était devenu régulier et on voulait pas qu'il finisse comme les camés qui traînent sous le pont à la sortie de la ville. J'étais mal pour lui. Il nous a envoyé bouler, il nous a dit qu'il savait parfaitement ce qui était bon ou mauvais pour lui, mais moi j'avais senti le désarroi dans son regard, et ses doigts posés sur le chambranle de sa porte d'entrée qu'il nous a refermé au nez, ils tremblaient.
De temps en temps j'allais chez lui lui rendre visite, il était content de me voir je crois, et ça me faisait plaisir aussi. Y'a que quand on était seuls tous les deux que je reconnaissais le vrai Mathieu, quand on était tous ensemble souvent il fuyait, il restait beaucoup seul et j'avais de la peine pour lui. Il partait un peu à la dérive, je voulais pas le laisser faire.

Moi, bah ça allait plus ou moins. Je m'inquiétais beaucoup pour les autres et ça m'empêchais de m'inquiéter pour moi-même, ce qui m'arrangais. Je savais pas trop où j'allais mais j'y allais d'un pas un peu hésitant. De toute façon ni moi ni les autres n'avions d'autres possibilités, fallait continuer à vivre, continuer à sourire, à être là pour ceux qui étaient restés.
Je dirais pas que j'étais l'ombre de moi-même parce que c'était faux, je me remettais petit à petit et j'avais pas mal de moments de bonheur ou il m'arrivait d'oublier les galères du quotidien, donc au fond je restai celle que j'avais toujours été, simplement une fille de seize ans un peu paumée.

Ma crainte, c'était que la bande se perde définitivement. J'avais peur que Sam revienne plus jamais, que Carla fasse une connerie avec sa putain de ligne, que Jay finisse par craquer ou que Mathieu sombre dans les couloirs tortueux de la dépendance. J'aurais voulu aider tout le monde, mais j'avais déjà tellement de mal à m'aider moi-même, et, qu'est-ce que je pouvais faire de plus?
De toute façon on avait pas le choix, fallait retourner au lycée, refaire nos vies, refaire nos choix.

AliceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant