JANVIER

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Le samedi après-midi, on est scotché à sa chaise, à attendre que l'heure passe pour se débarrasser de l'affaire de la thérapie. Aline Weil ne semble pas y arriver, elle s'assure juste que ça ne s'empire pas. Peu s'ouvre. Peu témoigne. On se lâche des regards embarrassants avant de lever les yeux au plafond.

Première thérapie, un échec.

Ici, les patients sont trop différents pour se donner la peine de s'ouvrir.

Puis quand ça se termine, le monde grouille dehors, sournois, dans la vague de leur vie.

Mon portable, coincé dans la poche de mon pantalon, vibre depuis une bonne minute et me rappelle à quel point c'est une mauvaise idée de laisser l'appareil émettre des ondes près de mon entrejambe.

- Ça avance Sirius ? Lance la voix de ma mère à l'autre bout du fil.

Non, rien n'avance. Mes pages, censées se remplir, moisissent près des couvertures. Le carnet n'a pas bougé de ma poche, toujours prêt à recevoir deux trois indices scrupuleux à ajouter.

Inintérêt : soupirs, respiration régulière, et roulement du regard.

Ma récolte n'est pas réjouissante.

- Hm... Maman, j'y vais. Terminé-je en raccrochant.

Il n'y a plus personne, tout le monde a l'air d'avoir déserté le lieu. Les marches de l'escalier saccadent ma respiration lorsque je descends, me provoquant un petit échauffement au niveau des genoux et des pieds.

Ce cas de figure m'apporte des informations déjà amassées dans le « lexique des sentiments ». J'ai affaire à une fatigue banale, lasse et sans répercussions sur le reste de la journée.

« La fatigue est un état simple Sirius, tu devrais le noter dans la deuxième partie du carnet. »

Les conseils d'organisation et d'arrangement du psy m'ont simplifié la vie. Ses paroles persistent fréquemment dans une partie de mon esprit.

Nous sommes en janvier, les mains dans les poches de mon pantalon, j'avance dans la rue. Autour de moi, tout semble dérisoire. Le monde rit, suffoque, pleure, rêve en marchant le téléphone collé à l'oreille. Une nouvelle année, trois cent soixante-cinq jours d'existence à combler.

Mes joues rosissent, ma peau se sensibilise en s'asséchant et mon souffle laisse de la fumée dans l'air ambiant. Pas besoin de fouiller dans le lexique, j'ai froid.

Ces raisonnements logiques ont toujours réussi à me diriger vers les états habituellement humains, exercés scrupuleusement dans des situations variées. Le seul bémol réside dans les émotions plus insolites, celles où les sensations délicates priment sur tout : les sentiments.

Les états simples sont faciles à cerner, elles arrivent au moment même tandis que les sentiments peuvent prendre du temps à s'acheminer jusqu'aux tréfonds de l'âme d'un gars comme moi, alexythimique.

Certaines personnes marchent sur le trottoir, la mine neutre, les yeux perchés à la recherche de l'horizon. Ce sont des blasés de la vie. J'en fais partie mais différemment. Eux, subissent le fait qu'ils n'aiment pas ce que leur offre leur pénible existence. De mon côté, la vie ressemble étrangement à un gouffre. J'ai toujours reconnu avoir ressenti des émotions par moment. Et pourtant rien ne me vient jamais à l'esprit. Je ne les discerne jamais facilement et ai toujours besoin de réfléchir avant de découvrir ce que je vis réellement.

Esteban m'attend depuis une dizaine de minutes au pas de ma porte. Il a ses fameuses manettes neuves dans les mains, les nouveaux jeux dans son sac. Il aime « squatter ma console » comme il aime tant le répéter.

SiriusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant