Mon calendrier m'indique qu'on est samedi. Un autre samedi, une autre thérapie. Et à chaque fois, des corps qui s'affaissent, des gens qui sèchent ou d'autres qui se laissent faire. Aline Weil n'est pas une thérapeute de talent, elle ressemble à toutes les personnes de son genre qu'on me vante sur des forums d'entraide. J'ai toujours espéré rencontrer une thérapeute qui puisse nous allier dans nos peines pour surmonter ce qui hantent nos cœurs. Et jusqu'à présent, tout se résume à un triste « rien de particulier ».Ce matin, j'ai une petite visite chez M. Lefebvre. Je n'ai pas hâte, j'en suis même las rien qu'en repérant mes pauvres mouvements. Depuis quelques temps, mon psychologue se préoccupe davantage de la thérapie que de moi. En y réfléchissant, ce genre de réflexion pourrait paraître égoïste mais chez le psy, on doit avoir affaire à soi-même et non pas à une synthèse du cours des événements.
M. Lefebvre a toujours eu un grand bureau. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Le cabinet est divisé en deux espaces distincts. Le premier au fond est en travaux, pleines de taches de peinture scrupuleusement agencées sur le mur et les pots à leurs pieds. Beaucoup plus vers l'avant, vers le milieu de tout ce parquet, on retrouve la fameuse table aux cadres familiaux. M. Lefebvre sirote sa tasse de thé en m'invitant à m'asseoir sur un de ces sièges confortables.
- Toujours à l'heure Sirius ! C'est digne d'un gentleman ! S'extasie-t-il en posant sa tasse de porcelaine.
Je fréquente ce psy depuis mes quinze ans et à chaque début de séance, il me lâche ce fameux « Toujours à l'heure Sirius ! C'est digne d'un gentleman ! ». J'ai toujours su percevoir son sourire franc lorsqu'il laissait sa voix rouler les syllabes de cette phrase. J'ai entendu ces dix mots selon différents contextes ou tons. Même quand j'arrivais en retard, il me le disait, comme si c'était sa petite marque de fabrique.
L'homme n'est pas très imposant. Depuis quelques mois, il se laisse pousser la barbe. Selon sa femme, c'est formidable d'avoir affaire au style Hipster de ces dernières années. Ça ne lui va pas très bien. Lorsqu'il se rase, on voit son teint s'éclairer avec la peau de bébé rougie qu'il retrouve. Un jour, il s'est rasé dans la salle de bain du cabinet, pendant une de mes séances. Je ne sais pas ce que j'ai ressenti sur le coup mais à chaque fois que j'y repense, je me demande ce qui a bien pu lui passer par la tête lorsqu'il a rasé sa barbe devant moi en chantonnant du Edith Piaf.
- Montre-moi ton carnet, fais-moi voir comment ça avance. Lance-t-il en tendant son bras.
J'ai posé mon carnet sur la paume de sa main et il l'a feuilleté rapidement avec quelques coups d'œil attentifs. Ce tas de papiers, c'était notre œuvre d'art, nos deux ans et demi de boulot sans relâchement. M. Lefebvre m'a expliqué récemment que, ce que je ressens à l'égard du carnet se rapproche clairement de la fierté et que j'ai de quoi être digne avec ce précieux objet. Et puis, même si Astrid se fiche à longueur de journée de moi et ce « lexique des sentiments », je sais qu'au fond elle sait que sans ce carnet, je perdrais tous mes repères.
- Ça avance plutôt rapidement, je suis fier de toi Sirius. L'état « moqueur » a été très développé, raconte-moi qu'est-ce qui t'as aidé. Poursuit le médecin en me rendant le cahier à la page 67.
Astrid, voilà ce qui a pu m'aider à enrichir les ressentis de l'être moqueur. Elle se moque tout le temps de tout, de la pluie qui clapote sur nos têtes alors que ça n'arrose pas les champs en Afrique, ma tête quand je lui donne ses devoirs faits ou mon carnet. Elle se moque énormément sans aller trop loin, et c'est peut-être l'un des traits de personnalité les plus étonnants que j'ai rencontré jusqu'à présent.
- C'est la petite-fille de la nouvelle fiancée de mon grand-père, elle est assez extravagante. Expliqué-je en obnubilé par la peinture qui dégouline encore.
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Sirius
Teen FictionNom : FAURE Sirius Âge : 17 ans Sexe : Masculin Pathologie : Alexythimie, incapacité d'identifier les sentiments Objectif de la thérapie : La thérapie a pour but de réussir à lui faire identifier le bouleversement et le malhe...