• CHAPITRE 3 •

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Le Traité de Béryl

     Le couvre-feu était scrupuleusement respecté, au Camp. Habituellement, à cette heure-ci seul le chant des roucas zébrait le silence. Mais aujourd'hui, tout le monde était dehors. La totalité du Camp s'était regroupée autour de la grande plaine. Le Feu des Veilleurs avait été débarrassé de ses tables et bancs de fortune, prévoyant une place suffisamment vaste pour l'atterrissage. Comme chaque année, les novices arpentaient les enclos d'un pas émoustillé ; la plupart d'entre eux provenaient de petits villages perdus et n'avait jamais vu d'ange de leur vie. De leur côtés, les garous étaient d'une humeur massacrante. Beaucoup jetaient des regards mauvais en direction des nuages, comme si ceux-ci avaient été grossiers avec eux.

Les bras croisés, je devais me faire violence pour ne pas laisser paraître ma nervosité. Que m'arrivait-il, à la fin ? Les autres années, je n'étais pas si angoissée. Je n'étais même pas présente, à vrai dire. La foule m'incommodait très souvent, plus encore lorsqu'il était question de séraphins.

- Alors ?

- Pas encore, Kyra, pas enc...

Sigrid se leva brusquement, de même que le reste des garous qui avaient perçu la même chose. Une myriade d'oreilles velues s'agitèrent dans la brise : l'ouïe et l'odorat des garous étaient extrêmement puissant, leur permettaient de distinguer toute intrusion à plus d'une lieue à la ronde.

- Ils sont là.

Oh, Dryas. Le noeud qui me tordait le ventre remonta dans ma gorge. Mes appréhensions n'avaient jamais été aussi fortes. Et mon instinct avait rarement tort.

     Je décidai soudain que je ne savais pas ce que je faisais ici. Pour quelle raison devais-je les accueillir ? Les apprentis aimaient simplement se rassembler ici par curiosité. Il était certes plus courtois de notre part d'accueillir les nouveaux venus... Mais ce comité de réception m'avait toujours semblé être une tradition ridicule. Je n'étais ni curieuse, ni excitée. Sans prévenir qui que ce soit, je me détachai du grillage auquel j'étais adossée et tournai les talons.

- Kyra ? me héla Sigrid, perplexe. Où vas-tu ?

- Ailleurs. Loin d'ici.

- Mais...

Elle se tut, probablement résignée. Le vent autour de moi s'épiçait de plus en plus de cette fameuse odeur de hauts nuages, très froide, un peu acide, signe avant-coureur de l'atterrissage. Les anges battaient fortement des ailes avant de se poser au sol, ramenant sous leurs pieds le parfum du ciel.

J'accélérai mes pas, traversant péniblement la foule des apprentis qui pointaient leurs doigts vers le soleil. Il me fallait juste longer quelques enclos et ensuite...

- Où crois-tu aller, comme ça, toi ?

Une voix grave, épaisse - d'une solennité reconnaissable entre toutes. Impossible de l'ignorer. Je stoppai net mes pas de course et fis volte-face.

     Le chef du Camp était un homme immense. Garou ours brun, deux mètres en longueur et en largeur, une chevelure brune aussi épaisse et abondante que sa barbe... La rumeur courrait que Galildur avait déjà vécu plus de cent ans sous sa forme animale. Et il était facile de le croire, avec sa bedaine proéminente et ses manies un peu barbares.

Le chef me fixa d'un regard contrarié, ses courtes oreilles d'ours frissonnant sur son crâne.

- Tu crois que je ne t'ai pas vue ? gronda-t-il. Heureusement que j'arrive à temps. Tout le monde assiste à l'atterrissage, n'essaie pas de me faire faux bond.

ÉCARLATE - sous la cendre [T1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant