• CHAPITRE 5 •

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Un corbeau sur un toit

Mon premier réflexe fut de porter la main à ma ceinture. Sauf que j'avais laissé mon sabre à l'intérieur du pilotis, à quelques mètres seulement d'ici.

Je poussai un juron. Ma méfiance était stupide, j'en avais avais bien conscience : que pouvait-il bien m'arriver, ici au sein de la propre maison ? Mais c'était tout simplement plus fort que moi ; mes dents se serrèrent et mon pouls s'envola comme les ailes d'un papillon.

J'examinai l'individu, tous muscles bandés. Comme l'aigle guettant sa proie, il décrivait des cercles silencieux sous la lune. Un rapace, sans le moindre doute, et un gros : ses ailes planaient paresseusement sur le vent, lourdes et puissantes. Il avait la carrure suffisemment large pour être professeur, or le seul enseignant séraphin était Misha. Mais Misha était loin d'être aussi athlétique. Un élève, donc, mais que faisait-il débout à cette heure ?

La lune disparut alors complètement derrière la silhouette démoniaque. Avec un hoquet de stupeur, je réalisai alors qu'il se laissait lentement tomber vers le sol.

Marche-rapide jusqu'à la porte, Kyra. Furtivement !

Le pilotis n'était plus qu'à quelques mètres, rapidement franchis. Je m'apprêtais à tourner la poignée de bois lorsqu'un bruit sourd me fit relever les yeux.

L'ange venait d'atterrir sur notre toit, accroupi. Toutes ailes déployées. Dryas, déglutis-je en me laissant impressionner. Elles devaient bien faire quatre mètres d'envergure - si pas plus.
Mon effroi dû se lire sur mes traits car il esquissa un sourire goguenard.

Ce n'était pas la première fois qu'il me jetait ce rictus. Je l'avais déjà essuyé lors de l'atterrissage, juste avant de rentrer dans l'Arène.

Cela commençait à bien faire.

- On ne t'a jamais dit que c'était mal élevé d'atterrir sur le toit des gens ? lançai-je.

Je l'avais réparé moi-même, ce toit. Les fins de saisons pluvieuses avaient massacrés deux poutres avant le début de l'année, il avait fallu tailler quelques nouveaux sapins. Mon travail. Mon pilotis. Dryas, comment se permettait-il d'y poser ses sales pattes ?

- Toutes mes excuses, répondit-il à travers un autre sourire. Je ne sais plus où sont mes manières.

Sa voix était grave, presque rauque. Il y avait une notre plus exotique, un accent chaud et velouté qui semblait transformer ses mots en musique. Une voix magnifique, je devais l'avouer.
L'ange pencha la tête de côté, comme s'il examinait un insecte à l'aspect particulièrement curieux. Je n'avais pas l'habitude d'être observée ainsi, sans honte. Le malaise s'ajouta à mon irritation.

- Je m'appelle Thalion, dit-il encore. Enchanté.

- Désenchantée. Maintenant, descends de là, veux-tu ?

Son demi sourire s'élargit, plus moqueur encore qu'un croissant de lune.

- Non.

- Comment ça, non ? Ce n'était pas une question, figure-toi. J'ai mis trois jours à construire ce toit. Si jamais j'y vois une seule fissure, tu auras affaire à moi.

- J'attendrai cela avec impatience.

Je plissai des yeux, priant pour que mes joues rougissantes ne se remarquent pas.

- Et bien, Thalion, aurais-tu l'obligeance de déguerpir avant que je n'aille chercher le balai ?

Il écarquilla les yeux, visiblement surpris. Puis son rire éclata, crépitant comme un feu à travers la nuit. Je me tendis, prête à ce que Galildur resurgisse tout à coup de son pilotis pour hurler des insultes. Mais il ne vint pas. Probablement déjà endormi. Bizarrement, je ne m'en sentis pas rassurée le moins du monde.

ÉCARLATE - sous la cendre [T1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant