La prof

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Introduction

Elle revérifie sa sacoche. La prof a tout ce qu'il lui faut : ses livres de seconde, première et terminale, sa trousse, ses divers lots de copies corrigées... Elle est fin prête. Elle sort de chez elle et monte dans sa voiture. Elle démarre et part pour son lycée.

Henriette ROPIET est professeur d'anglais dans un établissement du second degré en région parisienne. Elle y enseigne depuis près de vingt ans à des adolescents de quinze à dix-neuf ans. Avant d'arriver dans ce lycée, elle avait fait pendant une petite dizaine d'années la navette entre plusieurs collèges et lycées, avant qu'on lui reconnaisse le droit d'enseigner à plein temps dans une école fixe. Elle avait été soulagée d'être enfin assignée à un poste définitif. Surtout, elle était contente de l'avoir été dans un lycée, plutôt que dans un collège. En effet, elle avait surtout pratiqué dans des collèges et elle avait beaucoup été déçue par le comportement des élèves qui y étaient. Ils étaient paresseux durant ses cours parce qu'ils ne prenaient pas sa matière au sérieux, et puis ils étaient souvent à la limite de l'insolence, ce qui l'agaçait plus que tout.

Quand elle était jeune, elle avait été attirée immédiatement par les langues étrangères, car elle leur trouvait la plus noble fonction : communiquer. Pour elle, l'anglais était la langue la plus utile car elle était parlée dans une grande partie du monde, ce qui permettait lorsqu'on maîtrisait cette langue de converser avec des gens de toutes sortes et de partager leur culture de façon plus enrichissante que n'importe quel documentaire traduit. Très tôt, c'était devenu une vocation pour elle d'enseigner cette langue qu'elle trouvait merveilleuse à d'autres étudiants à qui elle communiquerait son goût pour l'étranger. Les études avaient été trop longues, comme elles le sont toutes, et elle avait souvent voulu abandonner, mais son goût pour les autres et la langue l'avait soutenu dans ses efforts, et elle avait fini par décrocher son diplôme. Elle avait commencé par une myriade de petits stages sous l'égide prétentieuse d'autres professeurs dont l'ancienneté servait de prestige. Puis on avait fini par lui confier une classe à elle toute seule...


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On lui avait proposé la place une semaine auparavant, et ayant accepté sur l'instant, elle avait passé ces quelques jours la séparant de sa prise de fonction à se ronger les sangs d'impatience et d'inquiétude. Pour le premier jour, elle était si nerveuse qu'elle était arrivée dans son collège avec deux heures d'avance. Elle avait rejoint sa salle de classe et avait commencé à répéter pour se mettre en confiance. Quand le début des cours fut bruyamment signalé par des cloches électriques disposées partout dans le bâtiment, elle perdit toute la contenance qu'elle était parvenue à se donner et redevint nerveuse. Les élèves étaient arrivés par groupes de trois ou quatre, se racontant vivement leurs vacances. En quelques minutes, tout son petit monde fut présent, se retournant les uns vers les autres, dans une conversation ininterrompue.

Henriette regarda quelques secondes sa classe et, impressionnée par toute cette foule qu'on lui confiait, tous ces petits esprits qu'il fallait initier à l'anglais, elle douta un instant de ses compétences : serait-elle à la hauteur de la tâche ? Elle s'éclaircit la voix et demanda calmement le silence. Le ton assuré qu'elle avait la surpris agréablement, et elle fut fière de sa nouvelle confiance en elle. Elle venait d'accepter l'importance de sa fonction et la noblesse de son travail : elle se sentait prête à épauler tous ces jeunes gens, à leur communiquer sa passion et ses connaissances linguistiques. Elle leur sourit, heureuse, et se présenta gaiement. Les élèves se regardèrent entre eux pendant une seconde qui lui parut interminable et lui répondirent par un "Bonjour !" retentissant. Un peu étourdie par son succès, elle s'assit à son bureau face à son jeune oratoire et prit une grande inspiration. Elle leur raconta comment elle avait commencé à aimer l'anglais, tout ce que ça lui avait apporté, ce qu'ils pourraient en faire... Après ce petit discours qu'elle avait longtemps ressassé pour elle-même pendant la semaine précédente, elle commença à leur enseigner les rudiments de cette langue. Ils avaient quelques difficultés à concevoir qu'il existât une civilisation si différente de la leur, et ils butaient sur les plus simples mots comme des tous petits enfants débutant l'apprentissage littéral de leur langue. Henriette parlait lentement, ne forçant pas trop l'accent afin de leur faciliter l'apprentissage et leur montrer que l'on pouvait communiquer tout comme avec le français. Les nouveaux mots et l'accent de Mlle ROPIET faisaient presque toujours rire les collégiens, ce qui amusait un peu celle-ci et l'attendrissait. Elle excusait leurs bavardages, dans la douce tolérance inspirée par le courant hippie par lequel elle était passée quelques années auparavant, leur pardonnant tout pour leur jeunesse. Et les semaines s'écoulaient, et elle montait peu à peu le niveau pour ses élèves, et eux continuaient de bavarder et de rire. Quelques-uns commençaient à ne plus faire toujours leurs devoirs...

Des nouvelles de mon adolescence ! ...et autres projets inachevés...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant