Pro(f) un jour ? - Inachevé

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Dans la salle des professeurs, lieu saint de l'érudition et du professionnalisme, les enseignants, studieux, examinent avec application un document qui vient de leur être remis. En pédagogues avertis et consciencieux, ils en étudient déjà toutes les ramifications didactiques et pratiques, évaluant instinctivement mais avec une noble pondération de leur raison éclairante l'impact sur leur enseignement et les nécessaires adaptations de la posture enseignante pour la réussite scolaire des apprenants. Enfin, après de longues secondes d'un silence délibératif, l'un des génies du lieu laisse éclater avec brio la quintessence de son souci du travail interdisciplinaire et du co-enseignement, de la cohérence pédagogique et du travail en équipe :

« - Alors ?

- J'ai mon jeudi, comme je l'avais demandé. Mais j'ai des trous partout, un vrai gruyère ! C'est n'importe quoi !

- Pareil pour moi ! J'ai mon lundi alors que j'avais demandé mon vendredi, et le mardi je finis à 17h en commençant à 9h alors que j'ai que 3h de cours !

- Moi, renchérit un troisième capétien sur un ton geignard, je finis deux soirs à 18h mais j'ai mes deux matinées libérées, comme je voulais. »


Dans une enfilade de pièces rectangulaires pensées en vain pour être fonctionnelles, un soleil morne de septembre s'écrase mollement contre les vitres bêtement carrées et encadrées d'un aluminium mat, sans parvenir à réchauffer des pièces glacées par un été de désaffection. Tandis que les trois salles de discussion sont désertes, celle de la machine à café bruisse des vociférations faussement enthousiastes et déjà agacées, avec en fond sonore, entrecoupé par des claquements de portes de casiers où s'amoncellent déjà publicité et paperasse administrative à remplir pour la veille, le mitraillement fiévreux d'un photocopieur dont tout le monde appréhende avec anxiété le prochain bourrage. Autour des tables de bar, stratégiquement placées à proximité du distributeur de boissons chaudes, une poignée de vétérans pérore plus bruyamment tandis que les spectateurs dans la salle s'efforcent de ne pas écouter.

« Le ministre a encore changé les programmes ! lance avec énergie, polémique, une prof d'histoire aux escarpins froufroutants assortis à sa robe et à son sac à main.

- On en revient aux programmes de 2007, au final, rétorque doctement sa collègue de français aux lunettes aiguisées.

- Oh ! Je ne sais plus ! s'emporte avec une lassitude tragique une enseignante de biologie, euh de sciences naturelles, euh de sciences de la vie et de la terre. Ils nous changent tout tout le temps ! Comment voulez-vous qu'on arrive à quoi que ce soit !

- Il ne s'agit pas d'arriver, de toute manière, il s'agit de s'agiter suffisamment pour donner l'illusion qu'on ne laisse pas le bateau couler sans lutter. La sentence du sarcastique de service, létale, tombe en travers de la discussion comme un couperet.

- Allons, ne soyons pas si négatifs, tempère un prof de maths à l'œil mutin. Le ministre nous a envoyé des renforts pour s'occuper de nos pré-délinquants. Une top-model issue du secteur bancaire. Pôle-Emploi l'a formée toute la semaine dernière !

- Et sinon, comment s'est passé le rendez-vous avec le CPE à propos de ton élève racketteur ? relance un prof de techno à sa collègue d'anglais.

- On n'a pas eu le temps de décider de ce qu'on faisait.

- Vous n'aviez pas rendez-vous de 8h30 à 9h30 ? s'étonne le premier.

- Si, et on a fini à 10h15. Mais le principal tenait à participer à l'entretien et on n'a pas eu le temps de travailler sur le sujet. Tu savais, toi, qu'il n'y avait pas d'étude sérieuse sur le racket mais que de nombreuses thèses se sont accompagnées de monographies sur la violence dans les écoles et les quartiers défavorisés depuis 40 ans ? Moi j'ignorais qu'il y en avait tant... Conclut-elle avec une moue d'exaspération fatiguée.


Des nouvelles de mon adolescence ! ...et autres projets inachevés...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant