Un boulot facile

Troisième mue

Il faisait noir, elle avait mal partout, mais c'était sa tête qui la faisait le plus souffrir. La lumière intense qu'elle distingua subitement n'était pas pour aider. Elle s'imaginait déjà en train de faire la queue au purgatoire.

Pourtant, tous ses muscles hurlaient de douleur. Le repos de son âme n'était pas à l'ordre du jour.

— Ina, Ina ?

Une voix à peine audible venait de la lumière.

— Ina, vous allez bien ? Pouvez-vous vous lever ?

Ses yeux s'habituaient doucement à l'éclairage rosâtre et elle distingua finalement le visage de cette voix familière.

— Sieur Tamm ?

— Je vous en prie, pas de monseigneur entre nous. J'ai bien cru que vous alliez nous quitter, je suis rassuré.

Elle était courbaturée de partout, mais apparemment pas blessée. La forte odeur d'iode qui flottait dans l'air lui fit prendre conscience qu'ils ne devaient plus être très loin de la mer. Ils la voyaient à peine quand ils s'étaient tous engouffrés dans cette stupide grotte. Le magicien l'aida tant bien que mal à s'asseoir sur le sol humide avant de s'installer en face d'elle.

Le cristal éclairant, qu'il posa entre eux, était la seule source lumineuse dans cette pénombre. Il donnait à peine plus de clartés qu'une torche, dans des tons rappelant un coucher de soleil sur l'océan. La lumière magique rendait les cheveux de Tamm, à l'origine cuivrés, complètement écarlates. La jeune femme tenta de scruter les alentours, cela avait l'air de ressembler à peu près aux mêmes salles qu'ils avaient déjà traversées.

— On doit être au moins deux niveaux en dessous. Il n'est pas possible de remonter, la terre et la pierre recouvrent intégralement notre point d'entrée. Mais il y a une porte au nord que l'on peut essayer pour sortir. On doit être dans ce qui devait être une caserne, ou un dortoir, je pense, ou peut-être une salle de réception. Difficile à dire avec...

Son calme lui était trop difficile à supporter, elle le coupa net, furieuse.

— Et ma sœur ? Y a-t-il d'autres survivants que nous ? Et c'était quoi ces monstres ? Il s'est passé quoi ? Pourquoi tout s'est effondré ?

Visiblement embarrassé, il sortit une petite gourde en cuir qu'il déboucha avant de boire une longue gorgée, privilège de la noblesse. Il la lui tendit, elle la vida d'une traite avant de la lui rendre. Elle s'ébroua, l'eau lui avait fait du bien. Penaud, il nettoya ses lunettes, dont l'un des verres était fendu.

— Désolé. Je pense que votre sœur est toujours quelque part là-haut.

Blême, des gouttes de sueur glacée coulaient dans son dos. Elle était épouvantée à l'idée qu'Eresh soit restée seule avec ces monstres.

— Je comprends que cela puisse vous paraître dramatique, mais je vous en prie, ne vous inquiétez pas outre mesure. Votre sœur a de la ressource à ce que j'ai pu voir et votre rune l'a assurément protégé de l'explosion.

— L'expl... Je me souviens maintenant, me dites pas que c'était vous ?

— Par les dieux, non. Vous ne les avez donc pas vus ?

Son expression sidérée répondit à sa place.

— Pour revenir à vos questions, on les classifie sous le nom de Shé-réns. Vous avez pu voir leurs formes communes, littéralement mi-homme, mi-serpent. Leur forme la plus primaire, la plus bestiale dirais-je. Mais loin d'être la plus dangereuse. Ah ça non... Les plus dangereux sont ceux qui ont des jambes, j'en ai compté trois, déjà beaucoup trop je peux vous le garantir. Ils sont également à demi-reptiles, mais bien plus sournois. C'est une sorte de mue quand ils sont plus âgés, on ne sait pas très bien. Toujours est-il qu'ils sont les chefs des nids, avec un haut pouvoir de persuasion comme vous avez pu le constater. Ils nous ont fait tourner en rond pour nous fatiguer, puis embrouillé l'esprit pour qu'on s'entretue. Ensuite, ils n'avaient plus qu'à laisser leurs sous-fifres achevés les blesser et je dois avouer que c'est un bon plan.