Chapitre II, Emma

522 42 15
                                    

La journée n'avait pas été longue, non, bien pire que cela : elle avait été INTERMINABLE.

Je m'étais retrouvée plongée au milieu de personnes que je ne connaissais pas et qui ne pouvaient s'empêcher de se presser contre moi, d'envahir mon espace personnel et de me poser une multitude de questions plus indiscrètes les unes que les autres.

Ils m'avaient tous regardée sans se sentir gênés le moins du monde, comme si le simple fait que je sois nouvelle leur permettait de pouvoir me dévisager à tout bout de champ.

Ils m'avaient parlé, m'avaient invitée, m'avaient interrogée... TROP POUR MOI. Je ne voulais de personne. Ils étaient tous si intrusifs, j'en avais mal au cœur. Je ne désirais qu'une seule et unique chose : être seule.

Depuis la mort de Céleste, je me fichais pas mal de mon entourage, j'avais d'ailleurs perdu tous mes amis, un par un. Et le pire dans cette situation macabre, c'était que cela ne m'avait pas dérangée le moins du monde.

Je ne ressentais plus le terrible besoin de les voir. Fini, cette envie de bavarder, de m'amuser, de me confier, je n'avais plus rien à dire. Et cette perspective semblait contrarier mes connaissances au plus haut point : ils ne cessaient d'insister sur le fait qu'il fallait que je m'exprime, que ce que j'avais vécu était un drame horrible et que c'était normal si j'éprouvais le besoin de pleurer.

Ce qu'ils ne comprenaient pas, c'est que je ne l'éprouvais pas, ce besoin. Ou plutôt si, mais pas en leur présence. Je ne prenais vraiment aucun plaisir à me donner en spectacle, et sangloter devant ce qui avait été un temps mes proches me donnait cette désagréable impression.

Mes parents n'avaient pas supporté ma violente réclusion, pour eux, Lessie ne me l'aurait jamais pardonné. Le truc, c'est qu'utiliser ma sœur comme d'un argument pour me faire sortir de cet isolement, c'était comme dire à un condamné à mort que les personnes qu'il ne pourrait plus jamais voir étaient déçues : totalement inutile, voire une raison de plus pour me refermer.

Je ne parlais pas de Lessie. Elle était morte. Et comme toutes les morts précoces, elle avait laissée un énorme vide derrière elle. Elle avait brisé notre famille, comme si c'était sa présence qui nous permettait, à papa, maman, et moi, de communiquer. Parfois je ne pouvais même pas penser à son prénom.

J'avais définitivement oublié ce qu'était la sociabilité. Et j'étais très bien comme cela. Car accepter que quelqu'un rentre dans mon intimité, accepter que quelqu'un s'intéresse et communique avec moi, ça aurait voulu dire que je devais parler de Lessie. Et je n'en étais pas capable.

Je ne voulais plus entendre son nom, je ne pouvais plus entendre ceux qui se disaient mes amis et qui ne cessaient de clamer haut et fort qu'ils me comprenaient à son sujet. Parce qu'en vérité, ils n'avaient aucune idée de ce que je pouvais vivre, de ce que je devais subir à présent. Ils ne savaient pas ce que ça faisait.

Et parler d'elle avec autant de légèreté, déclarer qu'il fallait se relever et affronter, ça c'était le sale discours d'un pauvre ignorant. On ne pouvait pas aller de l'avant après ça. On devait juste se terrer dans nos angoisses, s'envelopper dans notre chagrin, et essayer tant bien que mal de mettre de côté tous les pires évènements.

À présent, j'étais sur le chemin du retour, le jour déclinait peu à peu pour laisser place aux ténèbres tandis que j'arpentais le chemin de graviers.

Mes pas faisaient des petits bruits secs en claquant sur les cailloux et devant moi se formaient des bulles de buées à chaque expiration. Je venais de sortir du lycée et j'étais enfin libre de rentrer chez moi, pour à nouveau m'enfermer dans mon cocon où je savais que personne n'oserait me déranger.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Sep 11, 2016 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Un regard vaut mille motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant